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samedi 13 décembre 2014

La parole de l'enseignant, superpouvoir ?

Boris Cyrulnik a écrit, dans l'ouvrage Le murmure des fantômes : " Les enseignants ont trop peu conscience de ce pouvoir qui leur est donné : [...] Il est très étonnant de constater à quel point les enseignants sous-estiment l'effet de leur personne et surestiment la transmission de leurs connaissances. Beaucoup d'enfants, vraiment beaucoup, expliquent en psychothérapie à quel point un enseignant a modifié la trajectoire de leur existence par une simple attitude ou une phrase, anodine pour l'adulte mais bouleversante pour le petit."

Je fais clairement partie des enseignants qui sous-estiment ce fait. C'est assez paradoxal d'ailleurs, car ma relation aux élèves est (aussi, mais pas seulement) affective et j'en ai conscience. Ce dont je suis profondément persuadée, et de plus en plus, c'est que la transmission des contenus disciplinaires est surestimée en général. Je cherche à transmettre des compétences réutilisables ailleurs, à un autre moment. Mais en soi, savoir déterminer la médiane d'une série statistique a peu d'intérêt. L'intérêt réside dans le fait de savoir répondre aux questions "est-ce, dans ce cas précis, un indicateur pertinent ?" et "que signifie ce résultat, quel éclairage apporte-t-il ?". Ou bien encore, sur le théorème de Thalès, ce qui me semble important est de savoir reconnaître une configuration de référence, savoir qu'il existe des outils mathématiques adaptés, savoir aller les chercher et les mettre en oeuvre, savoir mobiliser les connaissances de calcul pour aboutir à un résultat, savoir exercer son esprit critique face à ce résultat, et, surtout, organiser sa recherche, sa pensée, et communiquer sa démarche de façon rigoureuse et structurée. Mais les contenus ne sont que des prétextes. Bien peu de gens, dans leur vie personnelle ou professionnelle, ont besoin des contenus disciplinaires. Mais en revanche ils sont besoin de méthodes, de capacités d'abstraction, d'analyse, de communication, de logique, de créativité, d'avoir appris à exercer leur esprit critique, autant de compétences que l'ensemble de leurs enseignants ont eu l'occasion, l'opportunité de développer.

Même si je sais que mon rapport aux élèves conditionne la qualité de nos échanges, la façon dont ils se sentent en sécurité et dont ils oseront donc se tromper sans crainte, je reste dubitative devant la force de ce qu'annonce monsieur Cyrulnik. J'aimerais bien savoir si "la simple attitude" ou la "phrase" qui bouleverse l'existence de l'enfant peut le faire dans un sens favorable. Car je peux comprendre qu'une méchanceté déstabilisante, une maladresse qui bouscule l'estime de soi ait des conséquences. Mais y a-t-il des mots qui fassent du bien dans les mêmes proportions ? C'est tellement plus facile et plus rapide de briser que de construire...

2 commentaires:

  1. Personnellement j'ai une conclusion plus optimiste.
    Je penses qu'au vu de toutes les micro-agressions (bien souvent involontaire) que l'on subit tous chaque jour, nous nous créons un bouclier. Cela bien sûr dans la limite du raisonnable. Il ne faut cependant oublier de les réduire au strict minimum.
    Par contre, les bonnes choses faites volontairement ont à mon avis un impact bien plus important. Déjà parce qu'elle sont faites volontairement, ensuite parce que au fil du temps (en années) on retient essentiellement le meilleur.

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  2. J'aime bien votre commentaire, justement pour son optimisme. Et vous avez peut-être raison en effet. Je l'espère en tout cas.

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