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samedi 9 avril 2016

Comment l'innovation sème la bizouille

Philippe Watrelot écrit, dans sa revue de presse du samedi 2 avril du CRAP :

" On le voit bien à travers le débat sur la réforme du Collège, “Innovation” est un mot de plus en plus piégé. Alors qu’elle est encouragée par une institution qui reste cependant très marquée par le centralisme et la bureaucratie, l’innovation peut être rejetée par certains enseignants qui y voient une menace et une injonction. C’est ainsi que sur les réseaux sociaux aujourd’hui, les enseignants innovants et les initiatives telles que celles que nous évoquions plus haut sont l’objet de moqueries et que le discours sur l’innovation est vécu comme un discours culpabilisateur. L’enjeu est de parvenir à dépasser cela et à faire en sorte que le droit à l’expérimentation soit au cœur du métier et de la formation. Comme je le formulais dans un billet de blog de 2014, si l’esprit d’initiative était la règle, si la pédagogie ordinaire était fondée sur le travail d’équipe, l’expérimentation et la recherche permanente, si les programmes et l’organisation du temps laissaient plus de marges de manœuvre, si l’on faisait un peu plus confiance aux enseignants, si on leur donnait un peu plus de pouvoir d’agir, … ce serait tous les jours la journée de l’innovation ! "

Je trouve ce petit texte tout à fait percutant : l'innovation n'existe pas. Ce qui existe, c'est l'envie d'enseigner de façon adaptée au public qu'on à en face de soi, à un moment précis, dans un but précis. Mais même ça, le fait d'affirmer et d'assumer cette envie, c'est compliqué. Nous, enseignants, en passons, du temps à disserter sur la façon d'éduquer les élèves. Pourtant au final les mêmes schémas sociaux claniques se reproduisent en salle des profs.

L'esprit d'initiative tant souhaité n'est pas forcément facile à développer dans notre métier. La première question qui vient en général est « L’inspecteur sera-t-il d’accord ? » ou bien «Ai-je le droit de faire ainsi ? ». Beaucoup d’enseignants ne sont pas autonomes, parce qu’ils ne s’en donnent pas le droit. Il serait intéressant de creuser, et de s’interroger sur ce rapport enseignants-inspecteurs (réel ou imaginé) : on sait que pour progresser, les élèves ont besoin de se sentir en confiance, d’avoir conscience de leur droit à l’erreur. C'est la même chose pour les enseignants, et il nous faut évidemment un droit à l'erreur, sans qui nous ne tenterons jamais rien de nouveau dans nos pratiques pédagogiques ! Je constate que des collègues vivent des moments difficiles avec telle ou telle inspection, et j'en observe les dégâts. Le sentiment de confiance n'est pas non plus si fréquent, à l’échelon supérieur : lorsqu’une réforme (qui a de véritables atouts) est appliquée brutalement et avant même d’être véritablement achevée intellectuellement, lorsque notre ministre recule sur des points essentiels par rapport à l’esprit de la réforme, il est difficile d’avoir confiance. J'aimerais pouvoir être fière d'appartenir à l'Education Nationale... Pour ma part, je suis fière d'enseigner, de m'appliquer à faire de mon mieux, même dans les moments où je suis inefficace, où je me trompe. Mais c'est tout. Dommage, non ?

Pour en revenir à l’innovation, sans doute faudrait-il cesser de labelliser des actions pédagogiques ainsi. Cela permettrait de rendre plus naturel l’acte d’adaptation pédagogique, de ne pas créer de clivage.

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