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dimanche 5 juin 2016

Watrelot, antidote à la cynistite et la ronchonnite

Philippe Watrelot écrit, dans la revue de presse d'aujourd'hui des Cahiers Pédagogiques, au sujet du sondage de la Croix dont je parlais récemment ici. Et il renvoie à un article de son blog. Je vous invite vivement à aller le lire, cet article. Pour ma part, je l'ai trouvé très très pertinent et il tombe pile au moment opportun. Je vais le relire, tiens, tellement ça me regonfle (je n'étais pas à proprement parler dégonflée, mais je sentais bien un petit coup de cynistite aigüe et de ronchonnite chronique, et je n'aime pas ça).

Dans la revue de presse, Philippe Watrelot introduit une réflexion sur le cynisme et la déploration des enseignants. Il pointe le fait qu'ils empêchent de réfléchir vraiment, qu'ils gênent la prise de recul. Il les analyse comme des réflexes de défense, pour s'éviter une culpabilité injustifiée :

"L’École (avec un grand E) ce n’est pas LES enseignants. C’est l’institution avec son fonctionnement, ses contradictions,... et là dedans les enseignants font leur métier du mieux qu’ils peuvent dans un système qui dysfonctionne... Tout se passe comme si les acteurs de l’enseignement, devant le côté "insupportable" éthiquement des phénomènes de reproduction des inégalités ou la faible efficacité du système, avaient tendance à le "refouler", à choisir le déni et à se construire d’autres "explications", qui leur permettraient de ne pas se sentir mal avec leur métier. La déploration, l’hyper-susceptibilité, le cynisme, l’esprit de critique systématique sont les symptômes d’un malaise généralisé que la revalorisation risque de ne pas parvenir à changer... "

Dans son article de février 2014 republié pour l'occasion sur son blog, Philippe Watrelot écrit encore :
"Il faut donc se méfier des idées toutes faites et il nous faut plutôt déconstruire ces représentations que nous avons nous mêmes sur nos collègues." et il appelle à la nuance : ne pas généraliser, ne pas caricaturer, ne pas se laisser abuser par des déclarations-défouloir ou des impressions.

Philippe Watrelot se penche ensuite sur la formation, avec la question "Peut-on former à l’enthousiasme ?". Il ajoute "Peut-être pas". Je crois que si (et en fait lui aussi, je pense). C'est même un de mes objectifs prioritaires, à l'ESPE. Donner de l'envie, transmettre de l'énergie. "Ce qui crée la souffrance, l'amertume et le cynisme c'est souvent le double sentiment de faire un métier différent de celui qu'on pensait faire ou pour lequel on a été recruté et le sentiment du "travail empêché". Et se prémunir ainsi contre les deux maladies professionnelles de ce métier : la culpabilité et le cynisme
Pour ce faire, Philippe Watrelot propose d'amener les enseignants à "faire des deuils" (toutes proportions gardées) nécessaires à un exercice épanoui et efficace du métier : le deuil de l'"amour" de sa discipline, le deuil de la réussite de tous, le deuil du narcissisme. Autrement dit, se construire une représentation du métier qui soit vivante, souple, réfléchie mais détachée de l'égo. Aller vers les autres plutôt que de se replier sur soi-même. Et ne pas arrêter de réfléchir, de réinterroger toujours ses propres conclusions, qui ne sont que des étapes, que l'on peut n'importe quand renier, sans se renier soi-même.
Et puis Philippe Watrelot  termine par une critique du système, qu'il perçoit comme bureaucratique, infantilisant pour petits et grands, jeunes et vieux, "créateur de routines et d’inertie peu propices au changement".

Il conclut :
On ne peut pas nier que les contraintes et les verrous existent et qu’il convient de les desserrer pour reconstruire les moyens d’agir; il nous faut rappeler aussi que la principale barrière est souvent en chacun de nous : la déploration, nous y succombons nous mêmes.

Bon ben allez hop, c'est reparti.

4 commentaires:

  1. Je suis , itou, complètement convaincue par ce que dit le monsieur.
    Le deuil de sa matière en tant que "spécialiste" il faut le faire vite sous peine d'appartenir à la cohorte des déçus et des aigris dont la seule discussion en salle des profs est le niveau-qui-baisse (depuis mes débuts j'entends ça..dans quel bas-fond insondable est-il finalement niché ce "sacré niveau" dont je ne comprends pas bien la nature exacte?)...Dans le même mouvement, beaucoup de ces collègues ne semblent plus non plus jubiler à l'idée d'une lecture (ou d'un problème mathématique...) comme si quelque chose qui avait été pourtant le point de départ à un choix de vie était définitivement mort...C'est effrayant!
    D'accord aussi, il existe un "infantilisme" pernicieux dans nos boulots que j'ai surtout ressenti cruellement aux alentours de 40 ans et que j'ai rejeté violemment (dans le style: "j'ai passé l'âge!!!) et toute prise de liberté pédagogique est à chaque fois"louée et suspecte" en même-temps. Ce qui donne toujours l'impression de se battre pour se faire entendre...
    Je suis plus circonspecte quant au fait que l'enthousiasme s'enseigne.Je crois tout au plus qu'il est indispensable à un enseignement qui peut donner à rêver et que personne ne se doute à quel point cela peut se traduire "physiquement" chez un enseignant qui le possède...Quand je remonte le matin, et à l'heure, avec mes élèves, et que je croise les derniers collègues qui descendent mollement l'escalier avec leur mug de café à la main, je suis une élève de 13 ans qui pense: "eh bien ceux-là y vont à reculons!"...
    Enfin, je pense en référence à un de tes derniers posts qu'il existe une incidence entre le salaire, la motivation...Et les performances!! (hi...hi...)

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  2. :-)
    Je ne pense pas que l'enthousiasme, s'enseigne, mais je pense qu'il peut se transmettre, y compris en formation. Faire le guignol, s'enflammer, montrer qu'on y croit pour de vrai peut sans doute débloquer des inhibitions chez de jeunes collègues.

    J'espère... Sinon c'est que je fais l'andouille pour rien !

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  3. Je ne te vois pas faire l'andouille pour rien...et je suis intimement peruadée que tu es très efficace auprès des jeunes collègues...Mais les inhibitions ne sont pas toujours les leurs-propres et c'est une institution qui ne cesse de "vanter-craindre"le renouveau et il faut leur apprendre à être très forts pour qu'ils gardent leur confiance, leur enthousiasme, leur jeunesse d'esprit et leur goût du renouvellement malgré leur fin de mois pas si glorieuse au fond...

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  4. Ah si si, faire l'andouille pour rien, je sais le faire, et ça m'arrive régulièrement. Mais je suis comme les shadoks dans leur devise de cet article...

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