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jeudi 25 août 2016

" une blessure par laquelle s’écoulaient indéfiniment des chiffres aussi nombreux que les grains de sable de la mer "

Michel Butor est mort hier, et c'est un auteur que j'aime. Le Monde écrit à son sujet :
"Mais, à vrai dire, tout pouvait susciter chez lui un engouement : un herbier, un musée, un atelier, un album de photographies, une ruine, des collages, une œuvre artisanale, un calendrier, une architecture. Tout ranimait le goût de la langue et une sorte de devoir de description inépuisable. Il jouait sur les mots avec gaieté, avec sensualité, mais sans superficialité ; les mots et les langues étrangères ; ce n’était pas plus un poète de l’épanchement lyrique qu’un poète formaliste."
Voilà exactement ce qui me plaît dans ses écrits : cet "engouement" pour la vie, sous de multiples formes. Le mois dernier, Michel Butor a dit, dans une interview : "une des façons les plus importantes d’agir sur la réalité, c’est de passer par le langage". Je trouve cette phrase très forte, car elle est simple et profonde à la fois.

Et comme il était curieux de tout, Michel Butor a aussi écrit sur les mathématiques :

LA QUADRATURE DU CERCLE A PARME 
ou le sfumato des mathématiques

Le grec qui s’interrogeait à l’ombre des colonnes
de quelque temple dédié aux déesses de la mesure
au bord de la mer transparente sur la distance
entre deux retours de la même irrégularité
scandant la trace d’une roue de char sur le sable
par rapport à l’un de ses rayons

A dû d’abord croire que ses difficultés
venaient de ce que la plage n’était pas assez lisse
et la roue pas assez bien faite mais
lorsqu’après avoir multiplié les précautions
pour approcher de plus en plus d’une plage
céleste et d’une roue divine

Il s’est aperçu qu’en prenant
des unités aussi petites que possible
il restait toujours une différence
une blessure par laquelle s’écoulaient
indéfiniment des chiffres aussi nombreux
que les grains de sable de la mer 

Il a dû se dire que c’était encore une manifestation
de la malice des puissances voulant empêcher
les mortels de gravir jamais leur Olympe
et demeurer seuls dans leur jour en nous laisssant
dans notre nuit et qu’il n’y avait qu’à se résigner
devant l’arbitraire de ces vieux dieux

Mais lorsqu’il a décidé de nommer ce nombre élusif
s’il a choisi la première lettre du mot périphérie
n’était-ce pas aussi parce que dans son écriture
elle évoquait immanquablement une porte
avec son linteau et ses deux appuis
qui peut et doit ouvrir dans le mur du destin

Sur les chemins de la nuit et du jour
mariant le clair et l’obscur sur l’évangile
d’un monde inépuisablement plus vaste
que celui des anciens les horizons s’élargissant
en spirale dans la lecture traduction
des ermites futurs dialoguant avec les fauves

A la lumière des nouveau-nés la Terre carrée
s’égalant au Ciel circulaire devenant
un cercle elle-même osant être sphère
les bergers se réfléchissant
dans les anges tourbillonnaires
de ses coupoles prophétiques 

Michel Butor

Ceux qui veulent en savoir plus de π peuvent voyager jusqu'ici, et ceux qui veulent en savoir plus sur l'oeuvre de Michel Butor peuvent aller .

3 commentaires:

  1. Bonjour,
    Michel Butor que l'on pouvait récemment entendre sur France Info à propos du "pourquoi quatre-vingts et pas octante ?". L'interview de Philippe Vandel peut être écoutée ici : http://mathix.org/linux/archives/8974

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  2. Je vous remercie pour le lien que vous faites avec mon site (Dictionnaire Butor). Moi aussi je suis enseignant (de français, histoire-géo en lycée professionnel) : je ne partage pas votre optimisme pour la profession mais tout à fait votre enthousiasme pour l'écrivain que vous citez.
    Cordialement.
    Henri Desoubeaux

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