Hier, lors des interacadémiques sur l'éducation prioritaire qui se tenaient à Canteleu, nous avons eu la chance d'écouter (entre autre) Anne Barrère. Anne Barrère est sociologue de l'éducation et professeur d'université à Paris Descartes. Ancienne prof de lettres, l'objet principal de ses recherches porte sur le travail à l'école. Elle a été passionnante, et sa conférence (trop brève, on aurait pu l'écouter des heures) était très structurée. Elle nous a parlé sans langue de bois, avec passion et en étayant ses propos. Ses observations de terrain correspondaient tout à fait à ce que nous vivons en tant qu'enseignants, ce qui lui a donné très rapidement une légitimité de fait.
Je vous livre ici quelques-uns des points qu'elle a développés :
- L’éducation nationale est une « bureaucratie professionnelle » ; jusqu’en 70-80, le fonctionnement était pensé pour économiser la collaboration : chacun pouvait travailler efficacement sans que avoir besoin de mettre en commun l'autonomie. A partir des années 80 et plus encore 90, l'inflexion du modèle de régulation des organisations dépasse même l’école. Le taylorisme est critiqué d’en haut (c'est l'époque du mammouth de Claude Allègre) pour son inefficacité et parce qu'à cause de lui m'école est considérée ne s’adaptant pas à l’évolution de la société. De plus, les situations de travail sont jugées aliénantes. La collaboration devient un mot d’ordre de cette nouvelle organisation. Elle n’est plus seulement verticale, mais elle est aussi horizontale. Or, aujourd'hui encore, certains problèmes du fonctionnement collaboratif viennent du fait que les deux modes d’organisation coexistent : on n’a pas quitté un modèle pour aller vers un modèle alternatif qui remplacerait le premier, mais pour un panachage, un métissage, d’où des contradictions, qui créent freins et tensions, par exemple dans les temporalités : les temporalités bureaucratiques, bien huilées, peuvent rentrer en tension avec une temporalité de projets qui doit s’adapter à des contextes précis et ne peut pas s’adapter aux contraintes bureaucratiques. Dans ce monde post-bureaucratique se sont inventées des professionnalités intermédiaires : les formateurs, les CPC, les coordos, les cadres intermédiaires. Lorsque l’on dit que les enseignants résistent au travail en équipe, qu’on parle d’inertie, on se trompe de diagnostique : l’individualisme des enseignants est organisationnel. Cet aspect organisationnel évolue mais dans une grande instabilité, et le fonctionnement demeure mixte.
- Le travail collaboratif est un nouvel enjeu entre chefs d’établissement, inspection et enseignants. Travailler en équipe est devenu aussi une norme de jugement professionnel : l’image du prof qui "arrive pour faire classe et repart et c’est tout" a du plomb dans l’aile. Cela se traduit en termes d’harmonie relationnelle, de confiance, d’ « avantages » professionnels au quotidien et pas forcément en terme d’évaluation formelle. Participer à des collectifs devient un enjeu de pouvoir, parfois délicat : les écarts amènent de malentendus, voire des conflits entre équipes de direction et équipes enseignantes, et au sein des équipes enseignantes. Selon Philippe Perrenoud, il existe aujourd'hui une sorte d’extrémisme du travail en équipe ou collaboratif. Mais bien coopérer c’est aussi savoir ne pas coopérer, savoir sur quels objets et à quels moment on met en commun. Une des raisons pour lesquelles les enseignants ne travaillent pas en équipe c’est que les injonctions de travail en équipe tombent à côté de la tâche qu’ils ont le plus à gérer au quotidien : la gestion de classe. Ce que veulent les enseignants, c’est améliorer la vie des élèves, le climat entre enseignants et élèves, le relationnel. Communiquer sur ce terrain est compliqué. En REP on travaille plus en équipe car le contexte collectif fait que l’individualisation professionnelle est moindre. Les objets de la collaboration et du travail en équipe ont très longtemps été à l’extérieur de la classe. Avec la réforme du collège par exemple, ces objets tendent à être davantage à l’intérieur de la classe. Mais une part de l’autonomie pédagogique se réduit et donc il faut l’échanger contre autre chose : être plus soutenu, découvrir et apprendre, etc.
- Parfois le comment prend le pas sur le pourquoi. Le changement ne va pas de soi si on ne précise pas ce à quoi il s’applique. Comment les réformes et les schémas institutionnels font-ils sens ? Les REP ont un avantage dans la légitimation : c’est plus facile de donner sens à des changements en REP car l’impératif civique, l’idée de meilleures performances et celle de climat se conjuguent. La question se pose du rapport au collectif dans nos sociétés, de l’incarnation du rapport au collectif dans une école qui est sous le patronage du projet républicain mais dans lequel le rapport entre individu et collectif a profondément évolué. On parle de dialectique entre singularité, individualisation et collectif. Il y a une profonde évolution de ce qui fait le collectif. Le vivre ensemble n’est pas tout à fait la citoyenneté, mais c’en est une incarnation. Le collectif s’incarne dans les relations. Les collectifs adultes d’un établissement doivent aussi sortir de la rationalité moyens/fins : montrer comment des adultes peuvent agir ensemble avec des différences, mais que ces différences sont capables de faire collectif, y compris dans le débat, a valeur d'exemplarité pour les jeunes.
PS : pardon pour la multitude de coquilles. Je suis crevée, mais il faut que je me relise.
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