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vendredi 26 décembre 2014

En cours d'acquisition ?

J'ai reçu récemment un mail d'un parent d'élève intéressant. Les échanges se poursuivent d'ailleurs depuis entre nous. La situation est un peu particulière, car ce parent ne peut pas suivre de façon régulière la progression de son enfant, mais y accorde un grande importance et veut pouvoir réagir rapidement pour l'aider ou le remettre au travail si besoin.
Dans ce cadre-là, mon système de transmission du niveau de l'enfant ne lui convient pas. Je retranscris ici des extraits de nos échanges, avec son autorisation.

Votre méthode pouvant paraître avant-gardiste ne me semble pas en phase avec celle de vos collègues qui eux décident d'évaluer leurs élèves par l'ancienne méthode, c'est à dire en les notant.

Mon souci n'est pas d'être avant gardiste mais de faire progresser davantage les enfants, à ma manière. Quant à être "en phase" avec mes collègues, je n'en vois pas l'intérêt. Chacun enseigne selon ce qu'il pense être bien. Si à un moment donné il faut harmoniser nos pratiques, nous pourrons y réfléchir, mais l'harmonie n'est pas courante dans mon métier. Et s'il y a harmonisation, je pense qu'elle se fera plutôt pour le sans note, vu l'air du temps et les études réalisées sur la question. 
Ce n'est pas en contraignant les enseignants, mais en leur montrant les avantages et un exemple de fonctionnement qu'ils peuvent avoir envie de tenter l'expérience. Ou pas, d'ailleurs: chacun doit rester libre de procéder selon sa conscience. D'ailleurs plusieurs collègues ont décidé d'abandonner la note dès la rentrée de janvier dans mon établissement. Cela en agace d'autres, c'est comma ça.

 Comment va réagir l'élève quand il devra faire face l'année prochaine à une évaluation chiffrée ? 

Bien, car les enfants y sont habitués. Ils sont très adaptables. D'ailleurs ils se sont approprié mon système d'évaluation naturellement, et passer ensuite à un cours évalué avec des notes ne les dérange pas. Beaucoup me disent préférer le sans note, tous ceux auxquels j'ai demandé de me décrire leurs forces et leurs faiblesses mathématiques ont su précisément le faire. Restent quelques très bons élèves qui aimeraient des notes pour pouvoir se comparer aux autres de façon plus directe. 

Par la méthode traditionnelle prônée par l'éducation nationale et que nous connaissons tous, les parents peuvent suivre et interpréter le niveau de leurs enfants. 

Les institutions de l'Education Nationale ne prônent pas l'évaluation sommative. Elles souhaitent que les classes sans notes soient généralisées.

Par la vôtre, nous ne savons pas où se situe l'enfant. Le terme " en cours d'acquisition" par exemple, ne nous permet pas à lui seul d'évaluer l'enfant. (...) Ce terme selon la personne qui l'emploie peut valoir un 12/20 ou un 9/20 selon l'évaluation traditionnelle. Ces deux notes qui pourtant peuvent être regroupées sous la même notion "en cours d'acquisition" n'auront pas la même valeur aux yeux des examinateurs d'épreuves tel que le BAC  :  Le candidat dans un cas aura son bac et dans l'autre non !

Je ne suis pas d'accord, mais cette partie de nos échanges m'intéresse particulièrement. 

http://skepticaesoterica.com/debunking-fake-albert-einstein-quotes/
Je ne suis pas d'accord car la note est hautement subjective et c'est bien là un problème. Un élève peut en effet obtenir ou non son bac selon quel correcteur l'a corrigé. Heureusement, l'inspection veille sur les résultats et interroge, voire demande une double correction, lorsqu'un paquet de copies reçoit un moyenne particulièrement basse. Mais tout de même, lorsqu'une même copie (de maths, niveau lycée) peut se voir évaluée par un 5 ou un 15 avec ou sans barème imposé, on peut s'interroger sur la pertinence, voire l'aspect nuisible de la note ! De la même façon, entre deux établissements, l'échelle de notation est très différente, car les enseignants s'adaptent à leur public. 
Ce que m'écrit dans ce passage ce parent m'intéresse à plusieurs titres :

- nous sommes pétris par la note. Elle est un résumé que nous croyons fidèle et efficace, mais qui est juste rapide et dénué de précision. Faire changer ces représentations-là est difficile. C'est pour cela qu'il faut communiquer. Comme l'a dit Einstein, "Il est plus facile de briser un atome qu'un préjugé".

- le bac demeure une référence à laquelle les parents se réfèrent dès les petites classes. Pour la valeur que ce bac possède aujourd'hui, je doute de la pertinence de cette référence. Le bac a du sens lorsqu'on le rate, car cela témoigne d'un niveau scolaire faible (mais on peut aussi vivre bien sa vie sans le bac...). J'ai vu des élèves obtenir un bac avec mention et ne rien en faire dans l'enseignement supérieur, échouer dans différentes filières successives, car ils n'avaient pas les compétences méthodologiques, l'autonomie ou la motivation nécessaire. J'ai aussi vu des élèves avoir le bac de justesse et se révéler scolairement par la suite, jusqu'à être brillants. D'ailleurs, Einstein a raté son bac une première fois avant de l'obtenir (oui, c'est mon quart d'heure Einstein). Pour avoir le bac, il faut un niveau, certes, mais aussi avoir se conformer aux attentes. Une nouvelle fois, l'école formate. Elle devrait développer, permettre, embellir.


Le bac, constitué d'épreuves uniques et ponctuelles, est donc surtout un verrou : pour pouvoir continuer dans l'enseignement supérieur, il est nécessaire. Mais est-ce une bonne chose ? Ne faudrait-il pas s'interroger sur son existence même : sans l'obligation du bac pour continuer ses études, peut-être laisserait-on à certains jeunes la possibilité de réussir professionnellement plus simplement, plus rapidement ?
On pourrait envisager de conserver un examen de fin de collège et de fin de lycée, mais sans que cela constitue un blocage pour la suite : une évaluation par compétences, qui permette de faire un point dur les acquis.

- J'ai expliqué à l'oral et à l'écrit ce que signifie "en cours d'acquisition", mais cet enfant n'a pas su, pas pu ou pas voulu le transmettre. Cela dit, le parent qui m'écrit ne se l'est pas approprié et je dois réfléchir à quelle en est la raison. 

- Pour quelqu'un qui ne voit pas son enfant au quotidien ou pour un parent dont l'enfant ne montre pas les documents relatifs à sa progression, mon système pose problème : les notes sont accessibles sur pronote, et c'est bien pratique. Mais mes compétences, si l'enfant ne présente pas à ses parents le document joint à sa copie et sa feuille de perso, c'est vrai qu'il n'y a pas moyen de savoir où il en est. C'est là que le logiciel Sacoche, dont mon chef m'a équipée juste avant les vacances, va sans doute être très utile : tout sera accessible en ligne. Je bosse là-dessus dès que j'ai digéré après les agapes de la fin de l'année. Ou entre deux agapes, plutôt.

Vous recherchez l'autonomie de l'élève, sa prise d'initiative. Moi aussi je trouve que ces 2 aspects sont nécessaires pour la vie professionnelle, mais il faut aussi aux élèves un appui parental. L'acquisition de ses 2 aspects ne se fait pas seul, l'apprentissage doit se faire non seulement avec son professeur mais aussi avec les parents.  

Alors là, je n'aurais pas dit mieux.


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