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mardi 16 décembre 2014

Kévin

J'écrivais récemment au sujet de la parole de l'enseignant, ici, dont je pensais qu'elle pouvait compter facilement dans le "mauvais" sens de la construction du jeune, mais pas forcément dans le bon. Une rencontre m'a interrogée, peut-être fait évoluer.

En allant parachever les fichues courses de Noël, j'ai rencontré Kévin. Kévin est un élève que j'ai eu pendant trois ans en lycée. Un lycée de zone sensible, classé Eclair. Kévin suivait une section STMG (STG à l'époque), et il s'était engagé dans la section euro. Il faisait des maths en allemand, en plus de son emploi du temps "normal". Je me souviens bien de Kévin, car il était très sympa, fragile en maths, avec un passé manifestement problématique. Il marchait pas mal à l'affectif et avait besoin de reconnaissance, d'encouragements. Il avait de l'humour, le genre gentil filou, entouré d'ami(e)s fidèles, car lui-même semblait très stable affectivement. Kévin avait un projet professionnel précis, qu'il a d'ailleurs réussi à atteindre. Depuis il a changé de voie, par choix. Tout semble aller bien pour lui, même s'il a eu des coups durs.

En rencontrant Kévin, plusieurs choses m'ont frappée.
D'abord, je l'ai eu il y a fort longtemps. Kevin est largement adulte. Il est venu droit vers moi avec un beau sourire, et j'ai pu tout de suite lui dire "Bonjour Kévin" et non pas "Heuuu bonjour euuuh je vous ai eu comme élève, c'est ça ?". Tout ce que j'ai écrit plus haut au sujet de Kévin m'est revenu en mémoire. J'ai pu lui citer les prénoms et les noms de famille de ses deux meilleurs amis de l'époque. C'est assez magique, ça : je n'ai pas une mémoire formidable, loin de là. Mais mes "anciens", je ne les oublie pas. Enfin, pas très vite. C'est, je pense, un symptôme de la façon dont ils m'intéressent. Et comme ce n'estpas volontaire, ça m'amuse.
Ensuite, Kévin se souvenait de tas de choses, lui aussi. Comme de la façon dont mes collègues m'avaient pourri la vie, par exemple, mais pas seulement. Et il m'a dit "Vous et monsieur XXX, ce sont les deux profs qui m'ont marqué, qui ont compté, qui ont changé quelque chose.". Ah. Mais pourquoi, lui ai-je demandé ? Alors Kévin m'a fait de jolis compliments qui tournaient tous autour de la façon de prendre en compte la personne de l'élève, et puis il m'a dit :"et puis parce que en fait, vous, vous êtes faite pour ça, c'est votre place, quoi."

Evidemment, Kevin m'a fait plaisir. Ou plutôt, il m'a émue. Pas par comparaison avec d'autres enseignants : je ne me sens pas unique (enfin si, mais comme tout le monde), ni irremplaçable, ni super prof. Chaque prof a ses Kévin, qui ne sont qu'une fraction de ces cohortes que nous voyons passé année après année. Et puis Kévin m'avait à la bonne et a oublié toutes les fois où je lui ai sonné sévèrement les cloches. Mais ce jeune homme, deux jours après mon article dans lequel je concluais qu'on ne pouvait certainement pas influer positivement l'existence de nos élèves, m'a apporté une contradiction, fortuite et simple. Je n'ai pas changé sa vie. Mais je lui ai apporté quelque chose qui a compté.

Je suis contente d'avoir croisé Kévin. Il a raison, en classe je me sens à ma place.

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