La conférence que je résume ici s'est tenue le 19 octobre 2012, au lycée Teilhard de Chardin à Saint Maur des Fossés.
André Antibi est un prof de maths et un chercheur, en didactique des maths et au final en pédagogie. Il est l'inventeur du nom de la "constante macabre", qu'il qualifie de phénomène de société spécifique à la France et aux pays qui suivent le modèle d'enseignement français. Pour lui, parler de constante macabre est parler de souffrance, d'injustice. Cela l'amène à parler aussi d'évaluation, mais c'est en corollaire. Il regrette d'ailleurs que les médias fixent sur le concept d'évaluation, car le sujet n'est pas simplement l'évaluation. C'est bien plus compliqué. La constante macabre n'est pas un problème de "notes ou pas notes", mais de culture d'évaluation. Antibi semble d'ailleurs tenir à la note. Elle permet de réguler les flux professionnels et permet un classement utile dans certaines circonstances, mais sans lien avec la constante macabre.
Dans cette conférence, Antibi commence par poser un constat : pour poser sa crédibilité professionnelle, un enseignant se doit d'obtenir aux évaluations qu'il propose des taux de notes "mauvaises", "moyennes" et "bonnes" les mieux répartis possibles. Une répartition qui suit une courbe de Gauss centrée sur la moyenne de 10/20 est une sorte d'idéal plus ou moins conscient, sans qu'intervienne le contexte de l'établissement ou de la classe, le niveau initial des élèves, la compétence de l'enseignant. Sans cela, les parents risquent de considérer que le prof dysfonctionne.
Il semble donc que la mission de l'enseignant soit remplie si la moitié des élèves sont en échec. Un peu comme si la mission d'un médecin était remplie si la moitié de ses patients ne guérissent pas.
La constante macabre n'existe pas dans toutes les disciplines : elle existe dans les disciplines qui prennent davantage d'importance aux yeux des parents, au sens de l'élitisme. Les disciplines dites à tort moins importantes (l'enseignement musical, les arts plastiques, l'EPS, etc.) sont épargnées par la constante macabre. Personne n'est choqué que la moyenne trimestrielle en techno soit de 14 pour une classe. Alors qu'en maths, ce peut être un indicateur de laxisme du prof, aux yeux des familles.
Antibi revient sur l'affirmation célèbre et toujours actuelle : "Le niveau baisse". Platon prétendait déjà cela, et on l'entend encore aujourd'hui. Le niveau ne baisse pas, en réalité, mais les contenus enseignés, les disciplines et les priorités dans les programmes changent. Aujourd'hui, on enseigne des compétences liées à l'utilisation du numérique, on enseigne davantage les langues étrangères. Certes, le niveau d'orthographe moyen a diminué par rapport à il y a 50 ans. Mais on ne peut synthétiser tout cela en "le niveau baisse", affirmation parfaitement démotivante, qui plus est, pour l'enseignant, et qui risque de limiter ses expérimentations pédagogiques.
Antibi croit à "la didactique de la chair", c'est-à-dire à ce que l'on observe, à ce que l'on comprend par l'intermédiaire de ses enfants. Il la pense plus efficace que n'importe quelle pédagogie au monde. C'est la première fois que j'entends ce propos et cette dénomination, mais c'est vrai que les souffrances scolaires et les difficultés de ses propres enfants mène à réfléchir très différemment, et parfois à bouleverser ses façons d'envisager les choses.
André Antibi s'interroge ensuite sur les notes, leur échelle et leurs représentations. Il prend plusieurs exemples :
- Jean Dhombres, qui un jour lui expliqua qu'à vingt ans, apprenant les langues orientales, il était parti de notes de l'ordre de -50... pour arriver à 0 en fin d'année, ce qui dénotait une fort belle progression ;
- Aux concours d'enseignement, les seuil d'admission sont souvent très très bas (lire ici). Certes, la note elle-même n'a pas le même sens ici, puisqu'il s'agit surtout de classer. Mais il est édifiant d'observer quelle échelle de notes est véritablement utilisée. Et comment un enseignant peut-il interpréter d'être reçu avec une mauvaise note ?
- Antibi s'interroge enfin sur les notes attribuées par certains enseignants, en particulier de lettres : "Un professeur de français, même s'il est très croyant, ne mettrait pas 20 à Dieu à une dissertation"
Pourquoi les maths cristallisent-elles la notion de constante macabre ? Selon Antibi, ce n'est pas parce que la discipline elle-même favorise la constante macabre. Il y a cinquante ans, les performances scolaires en latin étaient discriminantes pour la poursuite d'études ; aujourd'hui, ce sont les mathématiques. De ce fait, on scrute davantage les résultats en maths et la constante macabre y est davantage observée.
Il répond à la question fréquente : "pourquoi mon enfant, qui avait 17 en troisième, a-t-il 10 en seconde ?" Ce n'est pas parce qu'au lycée on se met à travailler vraiment, ni parce que les contenus deviennent "de vraies maths". Les classes de troisième et de seconde sont tout à fait dans la continuité l'une de l'autre et cette différence de résultats n'a a priori pas lieu d'être. Mais en fin de collège, les élèves les plus en difficulté sont "évacués", de façon souvent subie, vers des établissements professionnels. Avec les jeux stratégiques des familles pour le choix des établissements, leurs enfants se retrouvent dans des groupes d'élèves qui ne sont plus du tout équilibrés de la même façon. Et comme la constante macabre s'applique, le groupe obtient une moyenne à peu près identique à celle du collège. Mais l'élève n'est plus forcément dans le même "tiers".
Antibi remarque qu'il est une évaluation qui ne génère pas de contante macabre : le baccalauréat. Les sujets sont sans piège, et selon lui ne sont pas des cadeaux. On entend pourtant souvent les familles ou les enseignants considérer que le bac ne "vaut rien" puisque "tout le monde l'a" (ce qui est faux), et que les moyennes sont bien trop élevées. Pourtant, dès que les maths montrent au bac une moyenne plus basse, tout le monde hurle : la marge de manoeuvre est bien mince...
Une courbe de Gauss, d'ailleurs, est adaptée pour décrire beaucoup de phénomènes naturels. Mais Pourquoi la répartition des notes devrait-elle suivre une courbe de Gauss, qui plus est centrée sur 10 ? La répartition des notes n'est pas un phénomène naturel. Ce qui l'est en revanche, c'est la rapidité de compréhension des élèves. Il ne faut donc pas confondre évaluation et sélection, évaluation et apprentissage. La mission d'un enseignant est de former, pas de sélectionner.
La constante macabre s'introduit dans nos enseignements de façon très sournoise et par de multiples biais. Antibi en présente dix dans sa conférence, que vous pourrez retrouver sur le site dédié à l'évaluation par contrat de confiance et la lutte contre la constante macabre. Parmi ces "trucs" la favorisant, on peut jouer sur la longueur des sujets d'évaluation, l'équilibrage a priori des sujets de façon artificielle, pour obtenir sa fichue courbe de Gauss, la façon de noter la rédaction, le désir de balayer trop de compétences ou de savoirs, le fait de poser un exercice rien que pour Musclor (le plus balèze de la classe), etc.
Pour approfondir, rendez-vous sur le site mclmc.
Bonjour,
RépondreSupprimerPeut-on trouver des liaisons entre la courbe de gauss et les statistiques aléatoires. Un devoir fait 5 questions de 4 points, on lance 5 dé à 4 faces, n'obtient-on pas les même courbes ?