Je reviens d'une conférence d'Anne Siéty. J'hésite entre stupeur et déception, mais en réalité l'un n'exclut pas l'autre.
Anne Siéty, c'est la psychopédagogue de Comment j'ai détesté les maths. J'ai cru la découvrir à cette occasion, et comme son discours m'avait beaucoup plu, j'avais cherché à en savoir plus sur elle. Je m'étais alors aperçue qu'elle est l'auteur de Mathématiques, ma chère terreur, ouvrage qui m'a suffisamment frappée au moment où je l'ai lu, à sa sortie, pour devenir une de mes références (ici, une analyse intéressante).
Bref, en m'inscrivant aux Journées nationales de l'APMEP, j'ai découvert qu'elle venait présenter une conférence intitulée "les nouveaux blocages en mathématiques". Evidemment, je me suis inscrite avec enthousiasme. Encore ce midi, au déjeuner, j'expliquais avec ardeur comme j'étais ravie de pouvoir l'entendre "en vrai" : j'espérais mieux comprendre qui elle est, et j'espérais apprendre.
Pour ce qui est de comprendre qui elle est, j'espère avoir mal compris. Pour ce qui est d'apprendre, c'est raté.
Dès le départ, l'ambiance a été étrange. Anne Siéty nous a rappelé que "Regarder un élève faire des maths raconte sur lui bien plus que juste des maths", que "les maths sont un instrument d'autonomie incroyable", que "si {elle} a aimé les maths, c'est parce que les profs étaient des adultes qui apprenaient à se passer d'eux". Et puis il y a eu un glissement : "Savoir faire et comprendre, ce n'est pas la même chose". Ca, nous sommes tous d'accord. "Aujourd'hui, les élèves pensent-ils, quand ils font des maths ? Je ne reconnais plus du tout les maths dans celles que je vois les élèves faire. Je suis désespérée de ça".
Comme exemple, Anne Siéty nous a exhibé les combinaisons (en combinatoire, à appliquer aux probas en terminale). "On utilise un truc, on n'explique même pas ce que c'est. Ca n'a même plus de nom, on ne dit pas comment ça s'appelle. C'est un machin. Et on ne parle nulle part d'arrangements et de combinaisons. Comment voulez-vous que les élèves comprennent ?" A la quatrième fois qu'elle a utilisé ce même exemple, je l'ai trouvé répétitif et signe d'un étayage pas si solide que cela.
Puis Anne Siéty s'est lancée dans une diatribe totalement dépourvue de nuance sur l'usage du numérique :" Les élèves sont dispersés à cause des écrans. Il n'y a plus de corps, plus de rapport au corps, et cela perd les élèves. Comment peuvent-ils compter en base dix puisqu'ils n'ont plus que deux pouces ?" (c'est en référence au fait qu'ils textotent). "Si on illustre tout sur écran, avec géogebra, le tableur, tous ces machins, c'en est fini de nos médailles Fields. Sans compter les névroses qu'on génère".
Finalement, Anne Siéty n'a pas beaucoup parlé de son métier, alors que c'était ce que j'attendais. Elle a évoqué deux cas :
Tout d'abord, celui d'une jeune fille qui ne comprenait pas le rôle des parenthèses dans les calculs. Comme madame Siéty lui expliquait que les parenthèses, c'était comme une protection, un cocon pour les nombres dedans, et que c'était comme sa chambre, dans laquelle est était tranquille, la jeune fille lui avait répondu qu'elle n'était pas tranquille dans sa chambre car son frère déboulait sans frapper sans cesse. Elle laissa tomber cette remédiation, puiqu'elle ne parvenait pas à faire progresser son élève. Puis un jour, elle se rendit compte que la demoiselle savait calculer avec des parenthèses, sans qu'elle l'y ait aidée. "Et ton frère, au fait, il rentre toujours dans ta chambre ?" "Ah non, répondit la jeune fille, cela fait bien longtemps qu'il frappe pour entrer !"
Deuxième cas exposé : un élève qui ne parvenait pas à comprendre comment on calcule avec des nombres négatifs. "C'est quoi, pour toi, -2?" lui demanda la psychologue ; "C'est comme quand il y a deux personnes en moins, comme quand on meurt". "Cela peut être autre chose, non ?" "Ah oui, c'est comme les étages d'un parking ou une référence à une altitude, par exemple -2 on est dessous, comme au cimetière".
Anne Siéty n'a pas donné d'interprétation explicite de ces deux exemples. Elle n'a pas directement lié lla difficulté de ces élèves à une représentation psychologique douloureuse. Mais tout de même, elle les a présentés ainsi. Je reste assez perplexe. Mais au moins, elle présentait là ce que l'on pouvait attendre.
Le souci, c'est qu'elle a expliqué que les élèves "la voient comme le père Noel lorsqu'elle leur explique, avec des mots simples et des manipulations, et qu'ils comprennent bien vite ce qu'ils n'ont pas compris avec leur professeur". Alors que les profs ne savent pas le faire, d'après ses propos. Peut-être n'a-t-elle pas voulu exprimer cela, mais c'est bien ce que nous avons tous compris : les profs ne font plus de cours "consistants", les profs se servent des écrans à tort et à travers, les profs ne font pas manipuler, etc. Elle avait même amené la photocopie d'un cahier de cours, pour nous montrer comme c'était naze. Et puis c'est la faute des programmes : selon Anne Siéty, on ne peut pas faire de "vraies" mathématiques à partit de ces programmes, et les nouveaux sont pires encore. Sauf que de son propre aveu, elle ne les connait pas. D'une part, cela me semble plus que limite, pour quelqu'un qui aide des élèves aussi sur le plan disciplinaire, de ne pas maitriser les programmes. D'autre part, tout ce qu'elle dit là est faux : nous enseignons toujours la démonstration, nous proposons des cours consistants et construits, nous avons recours à la manipulation lorsque c'est nécessaire (c'est-à-dire souvent). Nous ne nous basons pas seulement sur une approche kinesthésique, comme elle le fait, très empreinte de Montessori : nous faisons appel à tous les outils pour favoriser la compréhension de tous les élèves, avec leurs perceptions et leurs modes cognitifs différents. Cela inclut un usage raisonné des nouvelles technologies, et aussi d'apprendre aux élèves à s'en servir intelligemment.
Une demie-heure seulement était passée, que déjà une partie non négligeable des spectateurs avait quitté la salle. Las de se sentir insultés, méprisés, ils ont choisi de partir. Un échange s'est engagé, houleux, parfois épidermique. Une spectatrice a demandé, incrédule, à Anne Siéty : "Mais vous êtes psychologue ???" et Anne Siéty n'a pas compris : elle a répondu, très agacée, "Ah oui d'accord, un psy ça doit parler doucement et ne pas avoir d'avis, c'est ça ??". Mais non, ce n'était pas ça. Ce que se demandait, à juste titre, cette dame, c'était : comment pouvez-vous avoir une telle méconnaissance du public auquel vous vous adressez, et des profs en général, de leurs pratiques pédagogiques ? A plusieurs reprises, elle a perdu son sang-froid, et n'a fait preuve d'absolument aucune empathie. En fin de conférence, elle avait l'air embêtée, et nous a dit s'être mal fait comprendre, en synthétisant par un "Je ne voulais pas dire que c'était de votre faute ; je voulais dire que vous n'avez pas le choix, que c'est la faute des programmes". Michèle Artigue lui a gentiment expliqué que non. Nos programmes permettent un véritable exercice des mathématiques, si l'enseignant le veut.
Il n'empêche qu'en réécoutant la conférence, que j'ai enregistrée, les propos de madame Siéty sont franchement insultants et qu'elle nous a décrits comme des incapables. Elle presque crié, à un moment donné :"Depuis quand les profs sont-ils soumis ? C'est incroyable !" à une collègue qui lui parlait des programmes.
Les profs ne sont pas soumis, madame Siéty, car ils réfléchissent. En revanche, ils sont fonctionnaires d'état, et ne peuvent désobéir qu'à des injonctions injustes ou immorales. Appliquer le programme officiel n'entre pas dans ce cadre.
Finalement, je suis déçue d'avoir rencontré quelqu'un qui, aujourd'hui, n'a pas été professionnelle.
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