"L'école veille à l'inclusion scolaire de tous les enfants, sans distinction." ;
"Laisser les enfants en situation de handicap hors de l'école serait un renoncement indigne de la République." ;
La première question qui m'est venue porte sur l'inclusion et l'intégration : on ne nous parle plus d' "intégration", mot remplacé par "inclusion". Pourquoi ? Dans mon esprit, "inclusion" revêtait un caractère passif, alors qu'"intégration" me semblait réclamer des efforts de l'institution. J'ai un peu farfouillé et j'ai lu ceci, de Jean-Yves Le Capitaine, chef de service à l'Institut Public de la Persagotière à Nantes, qui s'intéresse particulièrement à la situation scolaire des jeunes sourds :
"Avec l’intégration, le problème c’est l’enfant, qui pour être intégré doit avoir des dispositions, doit bénéficier des compensations et de toutes les réadaptations nécessaires pour le rendre comme les valides, et doit s’adapter au milieu dit ordinaire, au regard des normes de celui-ci – normes excluant par définition les « a-normaux ». Le poids de l’accès à l’école se fondait sur les capacités de l’enfant à accéder aux normes d’une école faite pour une population sans incapacités. Avec l’inclusion, chaque enfant, chaque adolescent a sa place à l’école, quelles que soient ses caractéristiques. Et pour avoir sa place, on n’exige plus de lui qu’il soit comme les autres, mais il y a lieu que l’école s’adapte à ses caractéristiques (par des moyens de compensation et d’accessibilité) pour qu’il puisse avoir la même vie sociale que les autres."
Déjà, je comprends des choses que je n'avais pas comprises. Et je ne veux plus du tout d'intégration, si c'est ça, l'intégration. Avec l'inclusion, on ne cherche pas à "réparer" l'enfant, on lui donne une place à l'école, en s'adaptant à lui. L'enfant n'est pas un "problème". Ca, je suis d'accord. Je ne voyais pas l'intégration de cette façon, mais j'ai dû louper un truc. Un gros.
Je reconnais dans les propos de madame Vallaud-Blekacem des éléments de ce que je lis là, les explications en moins. Mais je suis sans doute de mauvaise foi ou de mauvais poil... J'entends de beaux discours (sur un ton monocorde à mourir d'ennui, d'ailleurs) recyclés, avec "les familles et les enfants méritent mieux que de beaux slogans", ou "trop souvent les personnes en situation de handicap n'ont eu droit qu'à des mots.". Mais on leur en ressert quand même, des mots. Plein, tout jolis. Et pas que des mots : des nombres, des stats, plein plein, comme ça ça fait preuve scientifique. Mais en attendant, on fait quoi, concrètement ?
On embauche des AVSH. C'est un progrès, c'est vrai. Dans mon établissement, j'en côtoie trois, de façon régulière. Des personnes formidables, motivées, à l'écoute. Mais ils sont trois ! Pour pouvoir bénéficier d'un AVS/AESH, un enfant doit avoir un handicap sévère, et/ou une famille tenace qui connaît ses droits et le système scolaire, qui sait ce qu'est la MDPH et le CMPP, qui va répondre trente-six fois à des tas d'interlocuteurs différents qui changent tout le temps, ne se parleront pas entre eux, et le tout sans se décourager. Un véritable parcours du combattant, au fil duquel on n'oubliera surtout pas de rappeler aux parents tout ce qu'ils n'auront pas fait (et qu'ils auraient dû deviner).
Nos élèves assistés d'AVSH, du coup, ne sont pas dérangeants : l'AVSH gère (et gère bien), et les enseignants essaient de s'adapter du mieux possible, même si les adaptations sont compliquées, d'un point de vue pédagogique : nous nous retrouvons parfois face à des enfants dont le niveau réel n'a rien à avoir avec le niveau de la classe qu'ils fréquentent. Rien de rien. Sans préconisation aucune de ce qui serait bien pour cet enfant. Alors au moins, nous leur proposons des activités de nos disciplines, nous leur donnons de l'attention, du respect, nous leur montrons qu'ils sont importants pour nous. C'est déjà ça, mais cela ne me suffit pas.
Et puis il y a les enfants qui souffrent d'un handicap pour lequel on n'a pas jugé nécessaire ou possible de leur octroyer le même accompagnement. Tout ne peut donc pas se résumer à l'apport des AESH... Là encore, côté enseignant, on s'adapte : préparer la trace écrite pour tel élève dyspraxique, un support pédagogique en couleur pour un dyslexique, penser à reformuler pour tel autre, ramasser les affaires envoyées balader partout par un enfant qui n'en peut plus, etc. Parfois, cela donne des situations difficiles à gérer au quotidien : il y a deux ans, j'avais dans une de mes classes neuf enfants pour lesquels il fallait, en évaluation, proposer une adaptation forte (proposer des consignes toujours illustrées, reformuler à l'oral toutes les consignes, faire reformuler pour vérifier la compréhension, permettre de ne pas rédiger les réponses, éviter les questions portant sur le champ du nombre...). Et là, l'enseignante que je suis se retrouvait devant un dilemme : quel que soit l'enfant que j'ai en face de moi, il est important, tout autant que son voisin. Mais comment puis-je, dans le contexte hyper normatif de l'école, aider chacun de la meilleure façon possible ? Quand je reformule à voix haute et que le voisin me demande gentiment si je peux arrêter, parce qu'il ne peut pas se concentrer, je fais quoi ?
Abandonner les notes, passer au tout-compétences m'a permis de me libérer d'une partie des contraintes. Les nouveaux programmes vont sans doute permettre, par leur organisation par cycle, d'avancer encore. Mais je n'ai pas de réponse à ma question principale : quand je propose un travail complètement différent à un enfant, parce qu'il a le niveau CE2 en 5e, quand du coup il le fait avec son AESH de façon déconnectée du reste de la classe, est-ce que je lui apporte quelque chose ? Est-ce que je l'aide à grandir ? Est-ce que je l'inclus ?
Quand madame Vallaud-Belkacem parle de "changements importants", d'"efforts considérables", de "changements nécessaires", est-elle prête à aller au bout de son raisonnement ? J'en doute : quand un ensemble de spécialistes, réunis par le ministère, avait justement préconisé d'abandonner le système de notes traditionnelles, la ministre n'a pas voulu suivre. Or si il y a bien quelque chose qui norme de façon incroyable, c'est la note !
Tout cela manque de cohérence. Que l'école inclue tous les enfants, c'est une belle idée et j'y souscris, d'autant que progresser dans la gestion des handicaps améliorerait l'enseignement vers tous les enfants. Mais pour le réaliser, il faudrait nous former, nous permettre de nous concerter, entre AESH, accompagnants extérieurs et enseignants, pour que nous puissions travailler ensemble, et puis il faudrait prendre de vraies décisions, aussi : des préconisations en terme pédagogiques, par exemple, ou en terme d'évaluation certificative (les examens nous limitent et sont vidés de leur sens et de leur utilité).
Jean-Yves Le Capitaine l'explique : "l’école, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, n’est pas en mesure d’accueillir dans de bonnes conditions ces élèves handicapés. Pas seulement à cause des moyens, ou de la formation. Mais parce qu’elle n’a pas uniquement une fonction d’instruction, mais aussi une fonction de « distribution sociale » qui s’appuie sur des pratiques de sélection et de compétition. La révolution de l’inclusion bouscule fondamentalement le fonctionnement de l’école actuelle. Mais le principe d’égalité et de droits des élèves en situation de handicap exige pourtant que cette révolution ait lieu, et que, pour reprendre les propos de H.-J Stiker, le milieu ordinaire se spécialise ."
Autrement dit, il faudrait vraiment changer le fonctionnement de l'école et en finir en particulier avec ce système qui classe, et qui, en classant, exclut. Mais évidemment, c'est plus facile de dire qu'un changement de fond est en route, et de tout faire reposer sur les épaules des AESH. Sauf que c'est malhonnête.