Bruno Germain est Enseignant chercheur à l’Université de Paris V en Sciences du Langage langue et didactique des disciplines. Bruno Germain sait capter son auditoire, il a des choses à dire, il parle des élèves en sachant qui ils sont.
Voici des extraits de mes notes de conférence. Si le propos vous intéresse, Bruno Germain a écrit des ouvrages qui vous permettront d'aller plus loin. En particulier, j'écrirai un autre article sur deux outils qu'il nous a présentés : Vocanet et la Machine à lire.
C'est la cata ?
Les médias relaient les performances de nos élèves, au travers de Pisa, de Pirls, et nous annoncent que "tout fout le camp". Mais ces chiffres sont-ils vraiment alarmants ? N'y a-t-il pas aussi à s'interroger sur les méthodologies suivies, sur les interprétations réalisées ? En réalité, tout ne va pas si mal. L’illettrisme (terme qui s’applique aux personnes de plus de 17 ans qui ont été scolarisés et ont appris à lire) baisse en France : 3 100 000 en 2004 (9%), et 2 500 000 en 2012 (7%). L’illettrisme diminue de façon conséquente, et l’école fait son travail dans ce domaine : les jeunes sont beaucoup moins concernés que les plus de quarante-cinq ans. Les élèves français n’ont pas de gros problèmes de lecture, au sens décodage. Le système français n’est d'ailleurs le plus compliqué (l’anglais l'est bien plus).Il est donc question de progresser, et non de « sauver » la situation.
Le redécoupage des cycles
L’école maternelle trouve toute une spécificité dans le nouveau découpage des cycles, avec l’intégration des tout-petits, particulièrement dans les milieux les plus en difficulté. Cela apporte au cycle 2 un souffle tout à fait particulier, avec un apprentissage continu du lire-écrire-parler. Le cycle 1 prépare le terreau de la conscience phonologique, avec des jeux sur la langue.Le cycle 3, lui, permet un rapprochement inédit du premier et du second degré. Mais, pédagogiquement, il faut donner de la réalité à cette continuité, en trouvant une harmonie délicate, en particulièrement pour la sixième (qui est en même temps la fin du cycle 3 et le début du collège).
Peut-être ce découpage permettra-t-il de lutter contre l’effet négatif de la fragmentation des disciplines au collège (du point de vue de la charge de travail à la maison, par exemple, et du développement de l’endurance que cela demande d’un coup pour les élèves). Les nouveaux programmes proposent aussi plus de projets, avec un mouvement entre activités décrochées et activités intégrées.
Quand le français n'est pas la langue familiale
L’oral est prioritaire à tout : on ne va pas vers l’écrit de français de scolarisation si on ne maîtrise pas l’oral de français de scolarisation. Pour autant, il est impensable de développer la langue française sur les ruines d’une langue maternelle autre que le français. Il faut absolument que l’enfant possède une langue de façon très structurée, et mieux vaut que ce soit le cas pour la langue maternelle plutôt que d’empêcher cette acquisition forte au profit du français. Il faut que l’enfant ait des structures claires dans la tête pour passer ensuite au français par translation. Si la langue maternelle est de la bouillie, est dégradée, on ne construira pas correctement le français non plus.Lire, écrire, parler
Développer un oral de communication montre à l’enfant qu'il peut structurer le monde, exprimer le monde. Plus l’enfant rencontre des mots de la langue, plus il exprime. L’oral ne doit pas être seulement entendre, mais aussi produire. Mais en maternelle, combien de temps l’enfant a-t-il pour prendre la parole sans être dans l’urgence pour parler ? Il faut trouver des alternatives pédagogiques pour permettre l’expression, car c'est là que l'enfant progresse le plus.La littérature de jeunesse est une approche de l’écrit, qu’il ne faut pas oublier mais pas non plus faire de travers. Il y a eu un grand élan dans les années 1996-1998, pour faire rentrer les livres à l’école. Mais aujourd’hui il faudrait réussir aussi à faire sortir les livres de l’école vers la maison : certains élèves, réticents vis-à-vis du scolaire, le deviennent vis-à-vis des textes. Il faut réussir à régénérer l'envie.
Par exemple, même s'ils sont nécessaires, certains rituels risquent d’emporter le fond : lire juste avant la fin de la journée d’école, par exemple, associe la lecture au fait de sortir, d’aller jouer, de retrouver maman, au lieu d’écouter. Même chose à la maison : lire avant de dormir peut transformer la lecture en moment de paix ou un somnifère, au lieu d’en faire un moment partagé : je te le lis et nous en parlons. A chaque fois que nous lisons un texte à l’enfant, cela doit être un moment de débat. Débattre, c’est y mettre de soi-même, y mettre de l’intercompréhension, reconfigurer la vision initiale. On débat, pour comprendre. Plusieurs interprétations différentes, voire opposées, peuvent être acceptables et coexister. La justesse n’est pas toujours dans la simplicité, mais dans la précision.
Un "bon" rituel serait plutôt de distiller chez les élèves que tout texte va induire un moment d’échange. Et il ne faut pas hésiter à relire le texte plusieurs fois, pour laisser l’enfant interpréter plusieurs fois, peut-être de façon différente, et lui laisser le temps de développer une oreille fine. Enfin, il est impératif, dans le travail de classe, tout formaliser, tout rendre explicite. C’est l’explicitation qui donne du sens dans la tête de l’enfant.
Il y a quelque chose de physique dans l’écrit, lié à la calligraphie, à la motricité fine. Les enfants français ont une vision très dégradée de la calligraphie. C’est spécifique à la France : l’écriture est difficile à comprendre et sexuée fortement. Les enfants ne se rendent pas toujours compte de la différence entre deux lettres qu’ils ont écrite. L’intercompréhension nécessite que nous partagions le même code, et nos enfants ne savent plus suffisamment comment on écrit la lettre. Que les enfants détraquent leur écriture avant même de l’avoir véritablement construite est préoccupant. Montrer différentes polices de caractères permet de travailler l’idée de forme canonique d’écriture. Cette forme canonique doit être respectée.
La relation entre le lire et l’écrire est très forte et en élémentaire il faut attaquer les deux de façon simultanée et précoce. Il y a renforcement mutuel entre le lire et l’écrire. Trop formaliser, en fixant sur l’orthographe, mène l’enfant à ne plus écrire. Avant le CE2 l’enfant écrit sans orthographe, et trop souvent après le CE2, il n’écrit plus, mais avec orthographe.
Il faut prendre le temps, et souvent les enseignants sont anxieux à cette idée. Mais si l’école ne prend pas le temps de lire et d’écrire, où les enfants en difficulté sur la langue le prendront-ils ?
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