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vendredi 16 octobre 2015

tracer une bissectrice, c'est toute une aventure

Sixième, nous apprenons à tracer la bissectrice d'un angle. Nous avons plié des triangles de papier, tout colorés, et fait apparaître les plis-bissectrices. Nous avons parlé de symétrie, nous avons remarqué que sur tous nos triangles les bissectrices se croisaient en un même point et invité le mot "concourantes". Nous sommes revenus à l'étymologie de "bissectrice", et nous avons reconnu des bissectrices déjà tracées, au milieu d'une forêt de demi-droites, à l'aide du rapporteur. Les élèves ont réactivé tout seuls comme des grands la notion d'angles adjacents. Nous avons codé nos figures, de différentes façons, pour exprimer tout ce que nous pouvions. Nous avons synthétisé en une trace écrite sobre. Bref, jusqu'ici, c'est fluide, fourni, tout va bien.


Et puis vient le moment de tracer nous-mêmes. D'abord un angle de 40°. Facile, 40:2=20, hop on sort le rapporteur et zou, voilà une belle bissectrice. Et puis 282°. Bon, ça va, mais c'est moins facile car il faut décider de quel "côté" on se place. Le premier mouvement est de considérer l'angle aigu. Et 53° ? Les ennuis commencent pour mes élèves : il faut diviser 53 par 2, mais a-t-on le droit aux nombres décimaux pour une mesure d'angle ? Et puis il y a ceux qui se trompent dans le calcul, et ils sont nombreux. Et enfin, il faut représenter un angle de 26,5°. Pas facile, pas satisfaisant pour beaucoup d'élèves.
Je joue sur leur frustration prévisible pour leur proposer une autre méthode. Une méthode sans calcul, sans rapporteur, sûre et précise. Ooooooh, ils me disent. J'ai l'attention de chacun, je leur montre en reprenant au départ : je voudrais faire ci, il me faudrait ça. Quel outil pourrait m'être utile, au vu de la problématique ? Le compas, ils me répondent. J'attrape mon compas, je leur demande à quoi ça sert. A tracer des cercles, certes. A reporter des longueurs, oui, plus souvent encore. J'en profite pour sortir la corde qui me sert plus souvent que le compas de tableau, peu pratique et encombrant. Des élèves sont surpris de voir se dessiner un cercle, grâce à la corde. Nous revenons à ce qu'est un cercle, au départ. Ce n'est pas juste un rond ; c'est un ensemble de points qui ont tous la caractéristique commune d'être situés une distance égale du centre. Je parle de mouton, de piquet et d'herbe broutée. Et nous revenons à la bissectrice : comment la représenter à l'aide du compas ?

Je fais une démonstration, j'explique le pourquoi et le comment, j'envoie un élève qui refait, je projette une vidéo qui re-re-montre, j'envoie successivement trois autres élèves, en variant la nature de mon angle, et puis il faut s'y mettre individuellement.

Et là il y a des surprises :

  • Il y a celui qui ne marque pas les arcs sur les côtés de l'angle. Il pointe le compas n'importe où sur un côté, trace un arc. Et puis il vise : il pose le crayon du compas de façon à obtenir un deuxième arc de cercle, qui coupe le premier, situé de façon acceptable. A vue d'oeil, il a le sentiment que le point obtenu sera un point de la bissectrice. Sur la photo, on peut voir le crayon posé et la pointe en l'air. C'est une méthode inopérante en général, mais cet élève a compris ce qu'est une bissectrice : il est capable de porter un regard critique sur le résultat et sait quel genre de figure il doit obtenir. Mais il a fallu reprendre.

  • Il y a celui, dans le même genre de pifomètre, qui essaie carrément de me berner : 


Les arcs de cercle sont manifestement faits "à la main". Ceux qui déterminent le point de la bissectrice sont même joliment à l'envers. Cet élève n'en est toujours pas revenu : mais comment elle a su, la prof ???

  • Il y a celui qui commence bien, mais qui me déclare, perplexe : "madame j'ai pas de chance, j'ai fait un angle qu'a pas d'bissectrice".  La deuxième paire d'arcs est en dehors de l'angle aigu, et ne montre aucune envie d'intersection. Rhalala, comment allons-nous faire ??? Ici, on est sur une approche purement procédurale : cet élève n'a pas compris ou pas visualisé ce qu'il veut obtenir. Il essaie de reproduire des gestes, mais sans sens porté à ces gestes.

  • Et puis il y a celui qui, comme le précédent, se trompe de "zone" pour obtenir le fameux point d'intersection libérateur. Mais lui, il est choqué : "madame, j'ai beau recommencer avec des écartements différents, ça se coupe toujours sur le sommet !!! C'est fou comme truc !" Alors nous revenons sur l'objet compas. Puis sur une remédiation.


Quelques exercices et beaucoup de reformulations plus tard, je crois que ça va plutôt bien. Un élève me semble en difficulté, et il va lui falloir du temps. Ca sonne, nous y reviendrons la fois prochaine.

Et puis c'est la fois prochaine. Réactivation collective, mise en mots individuelle, réactivation fantaisiste, et "allons-y, je veux voir si vous savez ou pas. Si vous ne savez pas ce n'est pas grave, mais je saurai à qui je dois réexpliquer." Chacun va chercher une feuille de brouillon et c'est parti.

Première observation : lorsque je dis "tracez un angle de la mesure que vous voulez, de la nature que vous voulez, comme ça hop sans rapporteur", j'ai 26 angles de mesure comprise entre 30° et 50° sur 28 réponses.

Deuxième observation, presque tout le monde a réussi, mais parfois grâce à un encouragement :
"Madame, j'me souviens pu."
"Que cherches-tu à faire ?"
"A tracer la bissectrice de l'angle, là"
"Bien. Que vas-tu utiliser ?"
(regard désespéré de l'élève qui me répond, tenant son compas du bout des doigts et éloigné de son corps au maximum)
"Mon compas".
"OK. Tu commences par quoi ?"
"Chais pu"
"Quand on utilise le compas, on s'y prend comment ?"
"On pique sur un point. (court silence) Aaaaaah ben oui, yenapaplein, des points. Je pique sur le sommet. Hein, madame, je pique là ?"
"Oui. C'est bien d'utiliser le mot sommet. Comme ça je te comprends tout de suite. Tu sais quoi faire, ensuite ?"
"Oui oui oui, je sais, en fait je savais."
"Oui, en fait tu savais. Maintenant, tu le sais, que tu sais tracer une bissectrice".
Grand et beau sourire de l'élève. L'oeil pétille à nouveau, c'est tout bon. Il a compris, il a progressé et il est heureux.

Mais ça, ça s'est répété sept fois avec des élèves différents. Ce qui en dit long de leur rapport à la manipulation, à l'erreur ou au concept géométrique invoqué.

Sur 28 productions, seules deux sont à reprendre. Mais ça fait deux élève qui n'ont pas compris, et c'est encore trop.

Je vais laisser reposer et lorsque nous verrons le prochain thème de géométrie, j'y reviendrai. Et encore et encore.

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