Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

lundi 31 octobre 2016

Se souvenir, partie 2

Dans la capsule n°2 de Mathieu Gagnon sur les bonnes pratiques d'apprentissage, notre chercheur québécois passe aux conseils pratiques.
  • On rassemble et organise les contenus de ce qu'on a à apprendre
Il s'agit de résumer, de mettre en valeurs les "grandes lignes" de ce qu'il faut connaître. Cela ne signifie pas recopier. Il y a là une première implication personnelle.
  • On évaluer sa compréhension pour chacune des grandes lignes que l'on a mises en exergue.
Pour cela, il ne suffit pas de savoir redire. Il s'agit d'expliquer soi-même, avant même d'avoir "revu". Même si ce que l'on produit est incomplet, ou très partiel, ce n'est pas grave : on compare ce qui nous est venu avec nos notes, et on corrige, en écrivant un indice, un mot qui va nous permettre, à l'avenir, d'aller plus loin et de faire correspondre du sens à cet élément. On obtient une "feuille d'indices".
  • On recommence : on ré-évalue sa compréhension. Et si ça coince, on utilise la feuille d'indices.
  • Si tout n'est pas encore au point, on fait autre chose pendant vingt à trente minutes, puis on y retourne.
  • Et ensuite, les choses sérieuses commencent : il s'agit de s'entraîner à reconstruire l'information à partir de sa mémoire. Par exemple on peut se créer des cartes questions/réponses s'il s'agit de retenir des définitions (ce qui revient à la bonne vieille récitation à papa-maman, mais sans papa-maman), ou se créer des "réseaux de concepts".
En fait, il n'y a pas grand-chose de révolutionnaire là-dedans, mais c'est bien expliqué et relativement court. Le message de Mathieu Gagnon est avant tout qu'il ne sert à rien de passer du temps devant ses cahiers si c'est pour répéter d'une façon ou d'une autre, sans y mettre de soi. Pour apprendre, il faut d'abord être motivé pour apprendre.

samedi 29 octobre 2016

Jouons, c'est sérieux !

Un de mes excellents collègues (Seb, qui écrit parfois en commentaire ici d'ailleurs) m'a indiqué une ressource que je n'avais pas vu apparaitre sur Eduscol : un document d'accompagnement sur les mathématiques par le jeu.


Je ne saurai trop vous en conseiller la lecture : il est vraiment très bien fait, argumenté, concret, et il aborde un des leviers qui nous permettent d'éveiller l'intérêt, de faire progresser nos élèves.








Une vidéo est proposée en parallèle :


Bonne lecture et bon visionnage !

Se souvenir, c'est reconstruire

Un de mes collègues m'a conseillé la vidéo que vous trouverez à la fin de cet article, ou bien ici. Elle est en effet intéressante. Il s'agit d'une vidéo de Mathieu Gagnon, enseignant en psychologie et chercheur en psychologie éducationnelle pour le Collégial Nouvelles Frontières (Gatineau, Québec).

Je vous mets en garde tout de suite : vous n'aurez pas de méthode ici pour favoriser votre mémoire. Vous pourrez en revanche vous préparer à les recevoir (si la deuxième capsule de Mathieu Gagnon tient ses promesses), en ayant déconstruit des représentations erronées.

Mathieu Gagnon commence par déconstruire trois représentations qui sont en fait inefficaces:
  • Relire
  • Surligner ou souligner
  • Retranscrire, réécrire
La majorité des élèves (et des gens en général) considèrent un ou plusieurs stratégies comme efficaces, au sens où elles favorisent la mémoire à court terme, mais ne promeuvent ni la compréhension ni la mémoire à long terme. Autrement dit, c'est du bachotage, mais cela ne permet pas de fixer les notions pour pouvoir les réutiliser. Ces trois stratégies sont peu efficaces car elles sont basées sur une vision de la mémoire qui n'est pas exacte.

Alors comment ça marche : quand ont lieu les apprentissages ?
Selon les élèves, voici ce qu'il faut faire :
  • on écoute le prof
  • on prend des notes
  • on rentre à la maison et on reprend le cours, on révise les notes
Tout ça semble très logique. Mais ça ne marche pas. En fait, c'est surtout pendant l'évaluation que le cerveau comprend.

Mais alors, on fait un examen pour évaluer ce qu'on est supposé avoir déjà appris pour faire l'examen ???

Ben oui.

La mémoire n'est pas un endroit du cerveau dans lequel on range des tas d'informations. Si c'était le cas, les trois points du début (relire, surligneur, réécrire) fonctionnerait, effectivement. Mais le principe de la mémoire, c'est d'être reconstructive : il n'y a pas un endroit spécifique du cerveau qui stocke des informations. Se souvenir, c'est reconstruire l'information dans sa tête et la ramener à la conscience.

Du coup, étudier, ce n'est pas se bourrer le crâne d'informations, mais s'entrainer à reconstruire les informations mentalement.

Mathieu Gagnon fait allusion à ce que l'on ressent lorsqu'on a "quelque chose sur le bout de la langue": lorsqu'on est sur le point de se souvenir, mais incapable de la faire sur le moment, qui montre qu'alors on est en train de faire revenir des informations, mais qu'on n'arrive pas à les appeler toutes pour reconstruire une pleine mémoire. Le cerveau emmagasine beaucoup d'informations, mais tout n'est pas disponible en permanence, et heureusement, sans quoi nous serions submergés d'informations et d'émotions.

La dernière partie de la vidéo est consacrée à étayer ses propos précédents par des preuves scientifiques. Par exemple, Mathieu Gagnon présente une expérience qui a consisté à proposer le même examen à des étudiants qui avaient, par groupes, suivi des méthodologies d'apprentissage différentes :

A chaque "E" correspond un moment d'étude (de relecture, de révision) de 7 minutes. A chaque "T" correspond un moment de travail de la mémoire de 7 minutes. On voit bien que travailler sa mémoire paie, en effet. Ce que je voudrais savoir, c'est quel type d'activité de travail de mémoire ont pratiqué les étudiants.

Mathieu Gagnon fait référence à une autre étude :
Ici, on constate qu'étudier "plus" (plus longtemps) est beaucoup plus efficace qu'étudier un peu, ce qui est déjà encourageant. Mais faire fonctionner sa mémoire (ce qui permet d'y passer moins de temps) est encore plus efficace.


Cet après-midi, je regarde la suite.

vendredi 28 octobre 2016

Des maths plein les chaussettes

Lors de mon petit séjour parisien avec les CRAP, j'ai eu le temps de faire du shopping pour ramener des bricoles aux enfants : un hibou porte-lunettes, une fleur qui gigote des feuilles au soleil, un moule faire des oeufs au plat en tête de mort, une cuillère-écureuil pour tartiner les pâtes à tartiner sans huile de palme, bref, que des choses absolument indispensables. Et juste, avant de prendre le train, j'ai trouvé la cerise sur le gâteau : des chaussettes à angle droit !


Je vous sens dubitatifs. Mais si, je vous jure, ce ne sont pas des chaussettes classiques. L'étiquette insiste sur l'angle doit, et dans le magasin il était indiqué "chaussettes à 90°". Mais cette fois ce n'est pas en référence à la température de lavage.


Forcément, j'en ai ramené à la maison. Selon la marque qui les commercialise, "La forme est naturellement adaptée au contour complet de votre talon, vous pouvez ainsi bouger librement sans risque de glissement de la chaussette. La chaussette est parfaitement ajustée pour apporter un bien-être maximum. L'élastique de la chaussette est ferme, vous procurant confort et soutien sans jamais trop serrer."
Les maths au secours d'un véritable objet technologique... Quand je vous dis qu'elles sont partout ! (les maths, pas les chaussettes)

Le papier rose de K, ma sentinelle

Il y a quelques années, dans une classe pas hyper simple, je volais de table en table pour voir où en était chacun dans l'avancement d'une activité. C'était une heure compliquée dans la semaine : le vendredi, en dernière heure de l'après-midi. En plus, cette fois-là, on était à la veille de vacances. J'avais choisi une activité qui demandait de l'autonomie : je m'étais dit qu'il valait sans doute mieux utiliser l'énergie plutôt que la mettre sous cloche. Mais j'étais très fatiguée, et j'avais peur du bruit. Je suis assez sensible au bruit, et fatiguée, je me crispe d'une façon que je déteste : je réagis au quart de tour avant d'avoir réfléchi et pris du recul. C'est là que risque de partir trop vite une remarque sur un ton acide, une remise en place disproportionnée. Brrrr, comme je n'aime pas ça...


Ce jour-là donc, tout allait plutôt pas mal. Il y avait du bruit, mais j'avais demandé un travail en binôme. Les élèves étaient plutôt bien en activité, et contre tout attente la séance s'avérait plutôt plus efficace que d'habitude à la même heure.
Dans cette classe, il y avait K. K était un gentil garçon, qui faisait beaucoup de bêtises. Le genre de garçon juste sur le fil, qui avait déjà été exclu pour avoir réglé un ou deux différends de façon musclée, qui se donnait des airs de caïd, qui souffrait de devoir rentrer dans le moule du collège, mais qui savait réfléchir de façon autonome. Il était dans une période de crise, où les bêtises se succédaient. Nous ne savions pas jusqu'où il pouvait aller.
Alors que je naviguais au fond de la classe, j'ai vu K se lever. J'étais tournée, il était dans mon champ de vision seulement. Il s'est levé, il est allé à mon bureau, et il a "fait quelque chose". Puis il est retourné à sa place. A mon bureau, j'avais toutes mes affaires étalées, y compris mon ordi portable, le téléphone qui enregistrait la séance en audio. La semaine précédente, avec cette classe, le téléphone d'un collègue avait disparu de son bureau.
En même temps que j'expliquais à un élève, j'ai pensé très vite : il fait quoi, K ? Il a touché quoi à mon bureau ? Je fais quoi, moi, je hurle direct ? A cette époque, on ne se déplaçait pas ainsi dans ma classe, qui était toute bien rangée. Mais je n'ai rien dit. J'ai vraiment pris sur moi pour ne pas lui tomber dessus vigoureusement : il fallait l'avoir à l'oeil, je voulais que ma séance tourne, mais j'étais tendue, et je devais aussi m'avoir moi-même à l'oeil. Je me souviens m'être dit que c'était "toujours sur lui que ça tombait". Et puis bon, s'il fallait s'énerver, je pourrai toujours le faire cinq minutes plus tard.
J'ai continué d'aller de table en table, j'ai résisté à la tentation d'aller tout vérifier à mon bureau, et je me suis retrouvée près de K. Il avait l'oeil qui frise. Je lui ai dit tout bas : "Je t'ai vu, tu sais..." et il m'a souri comme un gamin. J'ai vu de la confiance pour moi, et je me suis senti soulagée.

Arrivée à mon bureau, au moment où la sonnerie nous libérait tous, ma horde est partie en vociférant des hurlements qui devaient contenir le mot "vacances". J'avais beau chercher, je n'arrivais pas à déterminer ce que K avait fait. Jusqu'à ce que j'éteigne mon ordi :


Je l'ai toujours, ce petit papier. Il est tout usé, mais aujourd'hui, j'ai changé d'ordi et le papier a migré de l'ancien vers le nouveau. Ce jour-là, j'ai eu l'impression d'avoir fait un choix vraiment important, d'avoir vaincu quelque chose, et je m'en souviens très clairement. Cela paraît pourtant insignifiant, mais c'était que chose de déterminant dans ma pratique professionnelle.
Alors mon petit papier fait la sentinelle. Si je me laisse gagner par la méfiance, l'agressivité gratuite, il est là.

De son côté, K a accompli un joli chemin. Il a choisi une voie qui l'épanouit et dans laquelle il réussit. Je suis toujours contente d'avoir de ses nouvelles.

mercredi 26 octobre 2016

Dans le métro à Paris

Lors des journées du CRAP, j'ai eu l'occasion de prendre le métro. Même si je préfère flâner nez en l'air à la surface, il m'a bien fallu m'enterrer un peu.
Même dans le métro, j'ai eu de quoi me mettre sous ma dent de prof de maths.

D'abord, une citation de Ben :


N'importe quoi... Monsieur Ben, je trouve que vous écrivez des bêtises. D'abord, la vérité n'est pas forcément belle. Ensuite, en communiquant ce que vous communiquez, vous passez cette pseudo-vérité par le filtre de votre subjectivité. Et enfin, le fait que 1 + 1 = 2, ce n'est pas une vérité, c'est une convention.

Ensuite, voilà-t-y pas qu'Oscar Wilde s'en mêle et joue son gars-de-base-qui-a-un-truc-à-dire-sur-l'éducation.

D'aaaaccord. Alors déjà je ne suis pas sûre, même si je ne trouve pas d'exemples pour étayer mon propos, là tout de suite, et ensuite on pourrait discuter sur l'assimilation éducation-enseignement. C'est faible, comme propos, je trouve. Ca m'a agacée. Et ne me sortez pas l'amour : aimer, ça s'enseigne, par l'exemple, dès tout petit petit.
Cela dit, en farfouillant sur Oscar Wilde, j'ai trouvé une "peut-être citation" que je trouve tout à fait admirable : à l'agonie, Oscar Wilde aurait dit "Soit ce papier peint disparaît, soit c'est moi". Alors là, chapeau bas, cela ne manque pas de panache.

Demain, je vous raconterai les chaussettes spécial matheux.

C'est l'aventure, quand je vais à Paris...

La prof elle a faux

J'ai donné cet exercice (issu du Dimensions 6ème) à mes élèves, en devoir maison, avant les vacances :

Et puis j'ai corrigé mes copies. Je m'attendais à des difficultés liés au mot "jante". Les élèves sont assez peu familiers de problèmes pneumatiques. Et en fait, moi aussi.

J'ai obtenu des réponses de plusieurs ordres :

  • Réponse la plus fréquente : 60 cm (ce qui correspond à l'épaisseur du pneu).


  • Ensuite, deux ex-eaquo : 120 cm (car on compte aussi le pchuit du "haut" du pneu, et 5 cm (erreur de vocabulaire entre rayon et diamètre) :



  •  Trois copies ne proposent pas de réponse.


  • Enfin, trois propositions à exemplaire unique :
Sur celle-ci, une erreur de choix d'opération, qui semble indiquer que la consigne n'a pas pris sens:

 Ici, je ne sais pas, parce que je n'ai aucune justification par l'élève. Peut-être a-t-il effectué 125x2=250, puis a-t-il ôté deux fois les 5 cm proposés par ses camarades ?

Et puis enfin une proposition qui ne tient pas compte de la résistance de la jante :

Mais pourquoi donc nous parle-t-elle de tout ça, vous demandez-vous ? Hé bien pour une raison fort intéressante : je me suis trompée, moi, dans ma correction. J'ai faux. A un exercice de sixième. Ben bravo madame Lommé, c'est pas joli-joli.

Pour ma part, j'avais répondu : 2 x 125 - 130 = 120. Hop, 120 cm, ou 1,20m pour ceux qui préfèrent. Et puis, après avoir achevé la correction de mes copies (c'est toujours plus drôle de se rendre compte qu'on s'est trompé après avoir terminé), je me suis demandé pourquoi autant d'élèves n'avaient pas tenu compte du "haut" du pneu. Leur "erreur" n'était pas si grave, puisque l'exercice portait avant tout sur la distinction rayon/diamètre. Indulgente, que j'étais, un peu style "Ah ah ah les jeunes, ce n'est pas grave, c'est une erreur de petiot qui ne sais pas comment c'est fichu une jante et un pneu".

Mais quelque chose titillait mon cerveau. J'ai donc posé l'exercice à ma fille de cinquième. 60cm, elle répond. Je lui demande de soumettre l'ex à mon fils de terminale S. 60cm, il répond. Je ne me démonte pas : "Ben ça c'est rigolo, vous faites tous la même erreur ! Le pneu, il se dégonfle de partout !" ; ma fille me répond "Ah oui, t'as raison, ben 120 alors." Mais mon fiston intervient : "Bah non maman, réfléchis! Le camion, il ne repose pas sur le pneu !"
Comment ça, il ne repose pas sur le pneu, je me demande en fixant mon loulou d'un oeil perplexe... "Mais il se dégonfle aussi en haut, le pneu..."
"Mais oui maman, mais le camion est fixé sur un essieu, il n'est pas posé sur le pneu. Sinon tu imagines, quand il avance, badaboum ! Il se dégonfle de partout, mais on s'en fout en fait ! "

Ah oui tiens ça y est j'ai compris. {un ange passe} Rhoooooooooo oui d'accord non mais n'importe quoi moi. Pis j'ai tout corrigé en indiquant 120 juste et 60 faux...

C'te honte...

mardi 25 octobre 2016

Comment on ment aux enfants

Total, ils tournent mal et deviennent profs d'histoire-géo (hihihiiihiii)

Mais en même temps, il a tout à fait raison, monsieur Erre. Moi aussi, j'ai trouvé ça gonflé, en mon temps : finalement on peut soustraire 6 à 4, finalement un carré peut être négatif, et quoi  encore ? Du coup, je ne dis jamais ce genre de choses aux élèves, et j'essaie de leur expliquer dans quel ensemble on se place pour affirmer ces bêtises.

CAFA

J'ai fini.

Mon mémoire est fini.

Il me reste une tonne de boulot, mais le mémoire, je peux le barrer de la liste. Il figurait dessus depuis le mois d'avril dernier.

Je suis très très contente.


samedi 22 octobre 2016

Je crape, tu crapes, il crape, nous crapons


Deuxième journée d’automne du CRAP à Paris. Aujourd’hui au programme : « Ecole : une refondation à poursuivre ! ». La matinée va commencer par l’exposition des principes version 2016 du CRAP (les précédents dataient de 1984), puis se poursuivra avec Patrick Rayou, Eric Charbonnier, Caroline Rousseau et Jean-Paul Delahaye.

Cet après-midi, nous serons en ateliers, et là j’hésite, entre « Quelles perspectives pour la réforme du collège ? » (en tant que formatrice académique), « La formation des enseignants » (en tant que formatrice ESPE) et « Mixité sociale, lutte contre les inégalités » (en tant que formatrice REP+). Pour le moment je suis inscrite dans le premier, mais les trois m’intéressent autant les uns que les autres.

Bon allez zou, c’est parti !

vendredi 21 octobre 2016

Je suis crapiste. C'est grave docteur ?

Aujourd’hui et demain, j’assiste à Paris aux journées du CRAP. Demain je profiterai d'ateliers et de conférences, et aujourd’hui c'était l’assemblée générale et des ateliers de réflexion sur la vie du CRAP. Le CRAP (Cercle de Recherche et d’Actions Pédagogiques) porte un projet de société, dans le sens d’une école pour la réussite de tous, connectée à une société plus juste, sans discrimination de diversité ou de difficulté, quel que soit le territoire.


Je suis plutôt nouvelle au CRAP. Depuis longtemps je lis les publications des cahiers pédagogiques, mais je ne suis adhérente que depuis un ou deux ans. J’avais envie d’en savoir plus sur cette association, et j’ai bien fait : j’ai une idée plus claire de ce qu’est le CRAP.

D’abord, j’ai été très surprise d’apprendre qu’il n’y a qu’une cinq-centaine d’adhérents. C’est très peu, surtout au regard de la notoriété du CRAP, disproportionnée par rapport au nombre d’adhérents.

Ensuite, j’ai pu constater que le CRAP, c’est un ensemble de personnes très variées, et souvent hautes en couleurs, qui se respectent dans leurs différences. On s’en rend vite compte en écoutant les uns et les autres parler. Mais ce que tous ont en commun, outre cette tolérance, c’est la volonté de contribuer à changer le système éducatif, celle de réformer. Pas forcément de réformer comme dans la réforme du collège, mais dans une perspective résolument anti-déclinistes (les « c’était mieux avant »), indépendante (syndicalement, politiquement), militante, positive et ouverte.

Toute la journée, j'ai donc pu rencontrer des professionnels de l'éducation sympas, drôles, enthousiastes, pas du tout des "élitistes de l'éducation". "Pédago", oui. Tout comme "intello", qui sonne souvent comme une insulte dans les cours de récré. Mais gogos, pas du tout.
Le CRAP est souvent attaqué, par des syndicats, par des groupes de collègues anti-« pédagogo ». Aujourd’hui, je n’ai entendu aucun mépris pour eux. Les enseignants présents sont convaincus et clairs dans leur engagement. Lorsqu’on déverse sur eux de la haine, ils entendent qu’ils dérangent, qu’on parle d’eux. Et ils continuent leur chemin, avec détermination, parfois visiblement fatigués de se battre, toujours, pour leurs convictions.

Après une soirée bien agréable, d'un bar associatif dans les murs de l'ancien hôpital Saint Vincent de Paul à un dîner où la parole a circulé librement, j'ai hâte d'être à demain.

jeudi 20 octobre 2016

Bulles au carré, édition 2016 : causons les maths


Vous trouverez ici les modalités et le thème du concours de cette année.

Il s'agit de proposer à nos élèves (âgé de 14 ans révolus au 30 janvier 2017) de créer une bande dessinée, individuellement ou en groupe. Les participants doivent envoyer une bande dessinée présentant le thème « Maths et Langages », sur 1 planche A4 maximum, en portrait. 3 prix seront décernés : le prix du jury, le prix des internautes et le prix Jeunes.

Quelques pistes qui peuvent être utilisées pour élaborer un scénario :
  • expliciter un élément ou une notation du langage mathématique, de la logique ou du code informatique
  • voyager à travers les lieux et les époques pour raconter l’origine des expressions mathématiques ou des symboles
  • jouer avec les mots et les expressions courantes qui empruntent le vocabulaire des mathématiques
  • crypter ou décrypter un message codé
  • décrire les liens entre maths, linguistique et psychanalyse. 
  • ...
Dommage, il faut que les élèves aient 14 ans. Je n'ai que des sixièmes et des cinquièmes cette année ; ou alors je pourrais le proposer en club maths, à mes vieux troisièmes.

Tiens oui, pourquoi pas ?

mercredi 19 octobre 2016

Géométrie contre takymétrie ?

J'ai reçu en cadeau un vieux bouquin de maths, intitulé "Arithmétique et Système métrique", de messieurs Brouet et Haudricourt. Il s'agit en fait d'un "livre de l'élève", qui avait été adopté par la ville de Paris, entre autres, pour ses écoles communales. Le programme en application est celui de 1903.

Le manuel commence par une "division mensuelle", une programmation pour nous, ce qui est assez original par rapport aux autres vieux bouquins dont je dispose. L'année commence en octobre et s'achève en août. Chaque mois propose de parcourir des notions de plusieurs domaines, parmi arithmétique, géométrie, système métrique, algèbre, arpentage et takymétrie.



Takymétrie ? Comment ça, takymétrie ?? Mais qu'est-ce donc que la takymétrie ???
Je vais à la première page de "takymétrie", et je cherche une définition. Peine perdue. On fait de la takymétrie en sachant déjà ce que c'est, visiblement, en 1903. Alors j'explore, pour comprendre :



L'opposition "formule géométrique"/"formule takymétrique" m'a laissé perplexe. C'est sur le site de l'Ifé que j'ai trouvé des réponses intelligibles, dans un article de Claude Georgin du "nouveau dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire" sous la direction de Ferdinand Buisson, et qui date de 1911 :
" La géométrie classique est une science fort étendue, souvent très abstraite, dont l'étude exige beaucoup de temps et qui n'est accessible qu'aux esprits déjà exercés ; mais c'est aussi un excellent procédé de culture intellectuelle. On ne peut songer à l'introduire dans l'enseignement élémentaire. Toutefois, il est possible d'en détacher les principes qui sont d'une application immédiate, c'est-à-dire les règles relatives au mesurage. Dans les circonstances ordinaires, sur un chantier, un métreur, un appareilleur, qui savent calculer exactement et possèdent bien les formules trouvées par la géométrie savante, pourront mesurer aussi bien qu'un géomètre consommé.
La science des formules géométriques est donc indispensable à la plupart des hommes. Mais si cette connaissance repose uniquement sur la mémoire, on doit craindre que de graves erreurs ne se commettent facilement. En présence de cette double difficulté, insuffisance du temps d'étude et défaillance possible de la mémoire, il était nécessaire de composer une géométrie très simple, à la portée des gens peu instruits, et propre à faire comprendre les règles aux personnes qui ne peuvent suivre des démonstrations savantes et rigoureuses.
Un ingénieur distingué, M. Lagout, a cherché à vulgariser cette géométrie populaire, à laquelle il a donné le nom de tachymétrie ou takymétrie (du grec tachys, prompt, accéléré, et métron, mesure), « géométrie rapide ». La tachymétrie se borne aux faits indispensables, aux applications courantes ; en même temps, elle montre, elle fait voir ; elle n'a pas la prétention d'offrir aux élèves des démonstrations mathématiques, mais elle y prépare très heureusement.
Il n'est pas d'instituteur qui n'ait eu recours à la tachymétrie, souvent sans le savoir : lorsque, pour expliquer la règle du calcul de la surface d'un rectangle de 7 décimètres de long sur 3 décimètres de large, par exemple, nous décomposons ce rectangle, en trois bandes longitudinales de chacune 7 décimètres carrés, nous employons un procédé tachymétrique, nous faisons voir que le rectangle dont il s'agit contient 3 fois 7 décimètres carrés, ou un nombre de décimètres carrés exprimé par 7 x 3, c'est-à-dire par la longueur multipliée par la largeur ; ce qui justifie la règle. (...) La tachymétrie n'est pas autre chose que l'application persévérante de ce procédé, limitée aux faits géométriques des affaires usuelles. Elle n'exige donc ni beaucoup de temps ni une instruction développée. "

Donc en fait la takymétrie consiste à manipuler, à expérimenter pour comprendre certaines mesures, de surface ou de volume par exemple. Et je suppose que les "formules géométriques" sont en fait les mêmes, mais obtenues par exemple grâce au calcul intégral. Claude Georgin poursuit :

" Tout le monde sait que le rapport de la circonférence au diamètre ne peut être exprimé exactement en nombre ; il est approximativement 3, 1416 ou 3 1/7 ou 22/7. Dans les calculs écrits qui demandent une grande précision, on emploie 3, 1416 ; dans le calcul mental et approximatif, on se sert de 3 1/7 ou même de 3 1/10. La longueur d'une circonférence quelconque est égale à celle de son diamètre multipliée par 3, 1416 ou 3 1/7. Il n'est ni plus simple, ni plus exact de dire, comme le fait la tachymétrie, qu'elle est égale à la longueur du diamètre multipliée par 3 3/20, ou encore au périmètre du polygone à six pans, augmenté du sou par franc ou du 1/20 de sa valeur. "

Ouhlaaaaa, autre époque... Pi " ne peut être exprimé en nombre ", ok, je comprends l'idée mais la formulation est pour le moins contestable. Quant à l'utilisation de la valeur approchée adjacente à l'idée d'égalité, ça pique.

Quels autres pages notables :

Je suis tentée de donner ce devoir à mes élèves : c'est tout à fait le thème "donner du sens aux opérations".
Les nombres complexes comme nous ne les avons jamais vus ! En fait, on travaille les nombres complexes dès l'école !
Les illustrations sont assez extraordinaires.
Leçon vue durant la période écoulée, à un siècle d'écart.
Ah bon ? C'est quoi cette notation ?
 Merci, BA, pour ce bouquin ! :-)

Top !

Chuis en vacances !!!
J'ai des tas de choses à faire, mais je vais les faire en buvant des chocolats chauds dans ma maison...

mardi 18 octobre 2016

Divagations : comment j'ai dû lutter pour comprendre

Aujourd'hui, j'ai remis le nez dans mon mémoire de CAFFA. J'écrirai bientôt sur ce qu'est le CAFFA, mais dans l'immédiat ce n'est pas mon objet. Sachez seulement que c'est une certification, qui demande, entre autre, d'écrire un mémoire professionnel. J'ai consacré mon mois de juillet à l'écriture, et je dois profiter des vacances de la Toussaint pour finaliser. En période scolaire active, je n'ai absolument pas le temps, et la période novembre-décembre va être terriblement chargée. Il faut donc finaliser, là, en une semaine.
A la faveur du temps libéré par une réunion plus rapide que prévu, de l'absence totale d'appétence pour mes paquets de copies qui attendront les vacances, et puis aussi parce que demain j'ai rendez-vous avec ma tutrice et que recolorer mes souvenirs estivaux était urgent, je me suis replongée dans le premier jet. J'ai exhumé la page de commentaires de ma tutrice, réfléchi à comment les utiliser de la façon la plus efficace possible, et puis j'ai vu les articles qu'elle m'avait sélectionnés. Trois articles de recherche, qui parlent d'identité professionnelle. J'ai essayé de les lire ce matin, pas moyen. Je n'en comprenais pas un mot.
Je suis partie travailler, j'ai entendu Nicolas Sarkozy sur France Inter dans la voiture. Je ne le savais pas à ce moment là, mais en fait il s'est attaqué à mon identité professionnelle. Il a perdu, mon identité professionnelle est assez solide pour supporter les attaques iniques de monsieur Sarkozy.
J'ai participé à ma réunion, et j'ai pas mal réfléchi. Le terme d'identité professionnelle ne me venait toujours pas naturellement, mais là encore c'est bien de cela qu'il était question : comment les différents acteurs de la formation enseignante font bouger, évoluer leur identité professionnelle au travers de leur quotidien professionnel. Comment ils gèrent leurs espoirs et leurs frustrations professionnels, et puis comment ils perçoivent et interprètent leurs missions.
Je suis rentrée au collège, pour chercher ma fille. Comme je suis fatiguée, je n'ai pas fait attention que j'avais une heure d'avance. J'ai repris les articles, et je me suis fait l'effet de la pluie diluvienne qui battait la vitre : ça glisse, et ça n'imprègne pas. Alors je suis descendue discuter avec Sébastien (notre agent d'accueil) d'identité professionnelle. Sébastien est un monsieur droit, franc, qui réfléchit, qui se tient au courant. Discuter avec lui m'a encore fait avancer, comme souvent : c'est vraiment un interlocuteur de qualité.
De retour à la maison après ma dernière partie de journée, j'ai répondu aux mails, écouté les enfants me raconter leur journée, je me suis fait un thé. Et puis j'ai repris les articles. Je les ai lus cette fois, mais dans un ordre différent. Et là, j'ai compris. Pas tout : le langage utilisé m'est parfois étranger, et je ne différencie pas certains concepts les uns des autres. Mais j'ai vraiment commencé à comprendre un truc : ce qu'est l'identité professionnelle et en quoi la comprendre est important pour mon métier.
Je me suis sentie heureuse d'avoir surmonté ma difficulté de lecture, de compréhension. Même si je n'ai pas atteint la clarté, j'ai progressé. Mais pour ça, j'ai vraiment dû lutter. Qu'est-ce qui fait que j'ai persévéré ? J'aurais pu déclarer forfait, que ces articles n'étaient pas dans mon sujet, qu'ils n'étaient pas à ma portée, que cela ne m'intéressait pas. J'aurais aussi pu en faire une purée de mots compliqués pour noircir des pages. Je sais faire ça.
Au lieu de quoi je me suis accrochée. La question est de savoir pourquoi : pas parce que m'en sentais l'obligation institutionnelle, ni parce que cela m'intéressait (comment s'intéresser à ce qu'on ne comprend pas du tout ?), ni pour me conformer à une attente. En fait, j'ai fait jouer deux leviers qui sont chez moi de vrais moteurs : d'abord, j'ai voulu comprendre par respect intellectuel de ma tutrice. Elle est quelqu'un de compétent, et le fait que je respecte sa compétence m'a poussée. Et puis par défi. Je sais que j'ai des limites, mais les repousser me motive. C'est une éternelle compétition contre moi-même.
Mais quand même, j'ai compris mes élèves qui parfois laissent tomber. Ne pas comprendre, devoir travailler un objet intellectuel qui nous est étranger, bin c'est dur.

lundi 17 octobre 2016

La justesse n’est pas toujours dans la simplicité, mais dans la précision (Bruno Germain)

Le mois dernier, j'ai eu la chance d'assister à une conférence de Bruno Germain, dans le cadre du groupe "Maîtrise de la langue - Lire écrire parler" de l'académie de Rouen.

Bruno Germain est Enseignant chercheur à l’Université de Paris V en Sciences du Langage langue et didactique des disciplines. Bruno Germain sait capter son auditoire, il a des choses à dire, il parle des élèves en sachant qui ils sont.

Voici des extraits de mes notes de conférence. Si le propos vous intéresse, Bruno Germain a écrit des ouvrages qui vous permettront d'aller plus loin. En particulier, j'écrirai un autre article sur deux outils qu'il nous a présentés : Vocanet et la Machine à lire.

C'est la cata ?

Les médias relaient les performances de nos élèves, au travers de Pisa, de Pirls, et nous annoncent que "tout fout le camp". Mais ces chiffres sont-ils vraiment alarmants ? N'y a-t-il pas aussi à s'interroger sur les méthodologies suivies, sur les interprétations réalisées ? En réalité, tout ne va pas si mal. L’illettrisme (terme qui s’applique aux personnes de plus de 17 ans qui ont été scolarisés et ont appris à lire) baisse en France : 3 100 000 en 2004 (9%), et 2 500 000 en 2012 (7%). L’illettrisme diminue de façon conséquente, et l’école fait son travail dans ce domaine : les jeunes sont beaucoup moins concernés que les plus de quarante-cinq ans. Les élèves français n’ont pas de gros problèmes de lecture, au sens décodage. Le système français n’est d'ailleurs le plus compliqué (l’anglais l'est bien plus).
Il est donc question de progresser, et non de « sauver » la situation.


Le redécoupage des cycles

L’école maternelle trouve toute une spécificité dans le nouveau découpage des cycles, avec l’intégration des tout-petits, particulièrement dans les milieux les plus en difficulté. Cela apporte au cycle 2 un souffle tout à fait particulier, avec un apprentissage continu du lire-écrire-parler. Le cycle 1 prépare le terreau de la conscience phonologique, avec des jeux sur la langue.
Le cycle 3, lui, permet un rapprochement inédit du premier et du second degré. Mais, pédagogiquement, il faut donner de la réalité à cette continuité, en trouvant une harmonie délicate, en particulièrement pour la sixième (qui est en même temps la fin du cycle 3 et le début du collège).
Peut-être ce découpage permettra-t-il de lutter contre l’effet négatif de la fragmentation des disciplines au collège (du point de vue de la charge de travail à la maison, par exemple, et du développement de l’endurance que cela demande d’un coup pour les élèves). Les nouveaux programmes proposent aussi plus de projets, avec un mouvement entre activités décrochées et activités intégrées.


Quand le français n'est pas la langue familiale

L’oral est prioritaire à tout : on ne va pas vers l’écrit de français de scolarisation si on ne maîtrise pas l’oral de français de scolarisation. Pour autant, il est impensable de développer la langue française sur les ruines d’une langue maternelle autre que le français. Il faut absolument que l’enfant possède une langue de façon très structurée, et mieux vaut que ce soit le cas pour la langue maternelle plutôt que d’empêcher cette acquisition forte au profit du français. Il faut que l’enfant ait des structures claires dans la tête pour passer ensuite au français par translation. Si la langue maternelle est de la bouillie, est dégradée, on ne construira pas correctement le français non plus.


Lire, écrire, parler

Développer un oral de communication montre à l’enfant qu'il peut structurer le monde, exprimer le monde. Plus l’enfant rencontre des mots de la langue, plus il exprime. L’oral ne doit pas être seulement entendre, mais aussi produire. Mais en maternelle, combien de temps l’enfant a-t-il pour prendre la parole sans être dans l’urgence pour parler ? Il faut trouver des alternatives pédagogiques pour permettre l’expression, car c'est là que l'enfant progresse le plus.

La littérature de jeunesse est une approche de l’écrit, qu’il ne faut pas oublier mais pas non plus faire de travers. Il y a eu un grand élan dans les années 1996-1998, pour faire rentrer les livres à l’école. Mais aujourd’hui il faudrait réussir aussi à faire sortir les livres de l’école vers la maison : certains élèves, réticents vis-à-vis du scolaire, le deviennent vis-à-vis des textes. Il faut réussir à régénérer l'envie.
Par exemple, même s'ils sont nécessaires, certains rituels risquent d’emporter le fond : lire juste avant la fin de la journée d’école, par exemple, associe la lecture au fait de sortir, d’aller jouer, de retrouver maman, au lieu d’écouter. Même chose à la maison : lire avant de dormir peut transformer la lecture en moment de paix ou un somnifère, au lieu d’en faire un moment partagé : je te le lis et nous en parlons. A chaque fois que nous lisons un texte à l’enfant, cela doit être un moment de débat. Débattre, c’est y mettre de soi-même, y mettre de l’intercompréhension, reconfigurer la vision initiale. On débat, pour comprendre. Plusieurs interprétations différentes, voire opposées, peuvent être acceptables et coexister. La justesse n’est pas toujours dans la simplicité, mais dans la précision.
Un "bon" rituel serait plutôt de distiller chez les élèves que tout texte va induire un moment d’échange. Et il ne faut pas hésiter à relire le texte plusieurs fois, pour laisser l’enfant interpréter plusieurs fois, peut-être de façon différente, et lui laisser le temps de développer une oreille fine. Enfin,  il est impératif, dans le travail de classe, tout formaliser, tout rendre explicite. C’est l’explicitation qui donne du sens dans la tête de l’enfant.

Il y a quelque chose de physique dans l’écrit, lié à la calligraphie, à la motricité fine. Les enfants français ont une vision très dégradée de la calligraphie. C’est spécifique à la France : l’écriture est difficile à comprendre et sexuée fortement. Les enfants ne se rendent pas toujours compte de la différence entre deux lettres qu’ils ont écrite. L’intercompréhension nécessite que nous partagions le même code, et nos enfants ne savent plus suffisamment comment on écrit la lettre. Que les enfants détraquent leur écriture avant même de l’avoir véritablement construite est préoccupant. Montrer différentes polices de caractères permet de travailler l’idée de forme canonique d’écriture. Cette forme canonique doit être respectée.

La relation entre le lire et l’écrire est très forte et en élémentaire il faut attaquer les deux de façon simultanée et précoce. Il y a renforcement mutuel entre le lire et l’écrire. Trop formaliser, en fixant sur l’orthographe, mène l’enfant à ne plus écrire. Avant le CE2 l’enfant écrit sans orthographe, et trop souvent après le CE2, il n’écrit plus, mais avec orthographe.

Il faut prendre le temps, et souvent les enseignants sont anxieux à cette idée. Mais si l’école ne prend pas le temps de lire et d’écrire, où les enfants en difficulté sur la langue le prendront-ils ?

mercredi 5 octobre 2016

Ma journée mondiale à moi que j'ai

Aujourd'hui, 5 octobre, c'était la journée mondiale des enseignants. Si si, je vous assure que c'est vrai. C'était notre journée, à Pierrick, Catherine, Arnaud, Margaux et Hélène, Marc, Claude, Thibaut, Thibaut et Thibault, Violaine, Thierry, Marion, Julien, Laurence, Sophie, Sandrine, Ibrahim, Handa, Nicolas, Jeff, Etienne, Muhammad, Zia, bref tous, quoi.
Et tout le monde en parle ! Des exemples ?


Ha ! Vous voyez, c'est pas la classe, ça ?

Tiens, même Google nous a fabriqué une petite animation, pour fêter ça :
Ah ben non, zut, ils ont préféré le Transsibérien. Alors là je ne comprends pas. Vraiment, je suis déçue.

Bon, cela dit, j'ironise, mais sur le plan mondial j'imagine que cela a du sens. D'ailleurs lorsqu'on fouille un peu on s'aperçoit que l'événement a été beaucoup plus médiatisé dans des parties du Monde où la vie n'est pas aussi facile, et où on a autre chose à faire que d'écrire des bêtises sur un blog.

Baoum

Sur le Figaro.fr, deux professeurs de lycée, Margaux Merand et Hélène Parent, se livrent à un "entretien-fleuve". On cherchait des réponses sur comment tout bien faire dans l'Education Nationale, et heureusement le Figaro leur a demandé. Elles ont réponse, à tout, c'est super.

Je ne choisis que de courts extraits. Allez lire l'article en entier si vous en avez l'envie. Tout n'est pas à rejeter d'ailleurs. Mais certains passages sont révoltants.

Ces deux collègues commencent par livrer leur ressenti sur la réforme du collège. Elles enseignent en lycée (dont une la philo, donc uniquement à des élèves de terminale. On imagine que le quotidien de l'élève de sixième de REP lui est familier). Et dès le départ, je sens comme un fossé nous sépare :
Cette réforme prévoit, entre autres, de faire la part belle aux pédagogies innovantes et aux travaux de groupes interdisciplinaires, sous forme de projets attractifs (les «EPI», enseignements pratiques interdisciplinaires), au détriment des disciplines traditionnelles qui voient leur volume horaire réduit. L'effet obtenu risque fort d'être à l'opposé de l'intention affichée de démocratisation du savoir: les familles financièrement aisées inscriront leurs enfants dans le privé afin de leur garantir des formations d'excellence, pendant que les enfants des familles plus démunies resteront entre eux, dans une école publique qui n'assumera plus son rôle d'ascenseur social. "
Pourriez-vous développer, mesdames, en quoi l'école enseigne de la m%&$# à cause de la réforme ? Faire des liens entre disciplines, de façon ponctuelle, c'est mal ? En quoi cela nuirait-il à la qualité de l'enseignement ? Et pourquoi l'école n'assumerait plus son rôle d'ascenseur social à cause de la réforme ? C'est déjà le cas, depuis longtemps ; pas à cause des EPI. la cause est bien plus profonde, et réside en grande partie dans les choix politiques en matière de carte scolaire. Quant à l'attaque non étayée sur les pédagogies innovantes, ces dames peuvent aller lire Louis Legrand et Célestin Freinet pour se rendre à l'évidence : ces pédagogies sont plus efficaces, mais pas innovantes.

Le constat est sans appel: il est actuellement impossible, pour un professeur du secondaire, de faire cours à des classes si hétérogènes, qu'il s'agisse d'un «cours magistral», d'un «cours magistral dialogué» ou encore d'activités visant à la mise en place d'une «pédagogie différenciée». "
Les bras m'en tombent. Tous ces collègues que je vois faire réussir leurs élèves, leur apprendre, les intéresser, serait-ce une illusion ? Et je parle là aussi bien de collège classiques qu'en rep ou en rep+.
Amusant aussi, "le constat est sans appel". J'ai mal lu, ou bien je ne vois aucune argument, aucune preuve ?

" La recherche d'activités permettant aux élèves de «deviner» (car c'est bien ce dont il s'agit) ce qu'on veut leur inculquer, est vaine en plus d'être chronophage, et participe d'une atteinte à l'autorité de l'enseignant, laquelle lui vient justement en partie de son statut à la fois ferme et rassurant pour l'élève de «celui qui sait». "
Il faut venir dans nos classes. C'est un ramassis d'âneries d'erreurs.

Je passe des paragraphes. Il n'y a pas que des paroles horripilantes et des affirmations infondées, cela dit. Mais quand on fait du bourrage de mou pareil sur ce qui est fondamental, cela éclipse malheureusement le reste. Dommage, il y a des passages sensés.

" Pour toutes ces raisons, il paraîtrait profitable de travailler sur une orientation précoce des élèves (dès la cinquième ou la quatrième) "
Ah mais quelle bonne idée. La plupart des pays qui avaient fait ce choix on renoncé. Mais sans doute ont-ils tort. Et pour ma part, j'ai vu bien des élèves à qui on avait annoncé qu'ils ne feraient rien de leur scolarité se révéler. Je crois à l'adaptabilité de l'humain, à sa capacité de progresser, de surmonter ses difficultés de toutes natures. Cela inclut les auteurs de l'article, c'est vous dire comme je suis d'un naturel optimiste et positif. Mais c'est par l'observation que j'en suis arrivée là.

" Toutes ces contraintes pourraient devenir supportables si toutefois les salaires n'étaient pas à ce point misérables pour les certifiés "
Misérable ??????? Il y a des mots qu'on doit utiliser avec prudences, mesdames. C'est indécent d'écrire une chose pareille. Nous ne percevons peut-être pas un salaire à la hauteur de ce que nous "méritons", mais la misère, c'est bien autre chose.

" Au sein de la classe, le professeur doit être le seul maître à bord dans l'enseignement de sa discipline, c'est ce que l'on appelle la liberté pédagogique. "
Quid des programmes, des recommandations qui s'appuient sur les résultats de la recherche, de la recherche-action, du progrès ?





mardi 4 octobre 2016

Le sens de ma vie

En visite dans une classe, aujourd'hui, j'observe l'enseignant. Je suis assise au fond. Mon petit voisin rame et répond à la consigne de l'exercice en faisant ce qui pourrait ressembler à si méprendre à n'importe quoi, si on n'est pas de très très bonne volonté. Mais je suis pleine de bonne volonté ! Je me penche vers lui, et je lui chuchote :
" Tu peux m'expliquer ce que tu fais, là, pour répondre à cet exercice ? "
Il me répond en chuchotant aussi :
" Non, j'peux pas. J'fais n'importe quoi, pour pas que il me crie."
"Ah. Tu veux que nous relisions la consigne, pour essayer de comprendre, tous les deux ? "
" Non mais c'est pas la peine : moi je comprends rien et pis vous, si vous êtes obligée de revenir à l'école alors que vous êtes vieille, c'est pas maintenant que vous allez comprendre. "
Je réfléchis à quoi répondre, en souriant à ce petit bonhomme. Probablement pense-t-il, devant mon micro-silence, que je suis en difficulté, que moi-même je rame, que je souffre comme lui. Alors il ajoute, consolant :
" Mais faut pas vous inquiéter, les maths ça sert à rien. Enfin, les maths de l'école, hein. A rien du tout. Mais ça faut pas le dire au prof, lui il croit que si. Et il est sympa, alors ... "
Et il me sourit.

Je me sens un petit peu seule, d'un coup...