Toujours, sauf une fois. J'ai buté sur Stendhal, avec Le Rouge et le Noir. J'ai essayé, lutté, mais rien à faire. Je me souviens même de la page que je n'ai jamais dépassée : je me suis arrêtée page 24. Et aujourd'hui, aujourd'hui seulement, je découvre que Stendhal s'enflammait pour les mathématiques.
C'est idiot, mais au travers des 24 pages que j'ai lues il y a si longtemps, j'ai peine à le croire. Non pas parce que j'ai échoué à le lire : ce serait croire que je ne peux aimer que des auteurs qui aiment les maths, ce qui est ridicule et faux. Ce serait aussi me targuer d'un lien avec les mathématiques que je n'ai pas : je suis prof de maths, pas du tout mathématicienne. Et bien incapable d'identifier au travers d'un écrit littéraire la relation de l'auteur avec les mathématiques.
Non, simplement je ne l'ai pas imaginé ainsi.
Voici des exemples de ce que Stendhal a écrit :
J'aimais et j'aime encore les mathématiques pour elles-mêmes comme n'admettant pas l'hypocrisie et le vague, mes deux bêtes d'aversion.
Suivant moi, l'hypocrisie était impossible en mathématiques et, dans ma simplicité juvénile, je pensais qu'il en était ainsi dans toutes les sciences où j'avais ouï dire qu'elles s'appliquaient.
Que devins-je quand je m'aperçus que personne ne pouvait m'expliquer comment il se faisait que : moins par moins donne plus (-x-=+) ? (C'est une des bases fondamentales de la science qu'on appelle algèbre.)
Ma cohabitation passionnée avec les mathématiques m'a laissé un amour fou pour les bonnes définitions, sans lesquelles il n'y a que des à-peu-près.
On faisait bien pis que ne pas m’expliquer cette difficulté (qui sans doute est explicable car elle conduit à la vérité), on me l’expliquait par des raisons évidemment peu claires pour ceux qui me les présentaient.
M. Chabert pressé par moi s'embarrassait, répétait sa leçon, celle précisément contre laquelle je faisais des objections, et finissait par avoir l'air de me dire : « Mais c'est l'usage, tout le monde admet cette explication. Euler et Lagrange, qui apparemment valaient autant que vous, l'ont bien admise... "
Je me rappelle distinctement que, quand je parlais de ma difficulté de moins par moins à un fort, il me riait au nez; tous étaient plus ou moins comme Paul-Émile Teysseyre et apprenaient par cœur. Je leur voyais dire souvent au tableau à la fin des démonstrations: « Il est donc évident ", etc.
Rien n'est moins évident pour vous, pensais-je. Mais il s'agissait de choses évidentes pour moi, et desquelles malgré la meilleure volonté il était impossible de douter.
J'en fus réduit à ce que je me dis encore aujourd'hui: il faut bien que - par - donne + soit vrai, puisque évidemment, en employant à chaque instant cette règle dans le calcul, on arrive à des résultats vrais et indubitables.
Nous avons déjà abordé la règle des signes en quatrième ; je vais tout de même parler de ce qu'écrit Stendhal à mes élèves. Il exprime ce que je leur répète sans relâche : ne croyez pas ce qu'on vous dit. Trouvez les moyens intellectuels de le comprendre, d'en être convaincus par la raison. Absorbez les enseignements qu'on vous dispense, mais en vous les appropriant, en ne les acceptant qu'après raisonnement.
Son problème sur la règle des signes est d'autant plus intéressant que de nos jours, en classe de quatrième, on explique vraiment pourquoi " - par - donne +".
Sa remarque sur les évidences assénées me rappelle certains cours de fac, en licence en particulier. Nous avions un professeur qui passait son temps à qualifier certains résultats de "triviaux". J'avais pris ce mot en horreur, car en effet je ne voyais dans certains d'entre eux absolument aucune clarté. Et les démontrer me prenait du temps et de l'espace.
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