Monsieur Peillon commence par déplorer que l'école ne réduise pas, voire aggrave, les inégalités sociales au travers de l'école. Pour remédier à cette situation, il souhaite "recentrer" les enseignants de primaire sur les fondamentaux, sans préciser quels ils sont (sauf la lecture). Selon lui, " la réforme des rythmes scolaires donne une matinée de plus pour apprendre à lire. ". C'est vrai, mais le temps du mercredi matin a été pris sur les après-midis... Et n'ajoute donc aucun temps supplémentaire. Quand aux "activités périscolaires gratuites à beaucoup plus d'enfants" et aux "services de tutorat numérique", c'est joli sur le papier mais dans bien des écoles cela n'existe pas : dans l'école primaire que je connais, la garderie a juste été allongée. Ni musique, ni arts plastiques, ni toutes ces jolies activités dont on nous a rebattu les oreilles dans les médias en début d'année.
Monsieur Peillon est ensuite interrogé sur les mathématiques. La question du journaliste est "Peut-on enseigner les mathématiques à tous ?". Voici sa réponse :
"PISA constate non seulement les lacunes des jeunes Français, mais pointe en outre qu'ils ont une difficulté particulière à utiliser leurs connaissances mathématiques pour appréhender des situations qu'ils rencontrent dans la vie. Cela repose le vieux débat théorique entre l'approche conceptuelle et l'approche empirique d'une discipline, certes, mais cela dit aussi qu'il y a quelque chose à repenser dans notre enseignement des mathématiques. J'ai d'ailleurs saisi le Conseil supérieur des programmes à ce sujet.
Les mathématiques souffrent aussi de leur position de discipline de sélection. On les étudie pour être dans la filière la plus valorisée du lycée et non pas pour elles-mêmes. Mais c'est très difficile à faire bouger, parce qu'on a toujours eu dans ce pays une discipline utilisée pour sélectionner. Cela a été le latin, aujourd'hui ce sont les mathématiques. Cela montre qu'une réforme de l'éducation est d'abord une réforme des mentalités…"
Changer une énième fois le programme ne changera pas le fond du problème. Je suis d'accord : enseigner par le concret, ma manipulation, le questionnement ouvert, fonctionne mieux que par du théorique pur. Toutefois, il faut aussi apprendre à manier des idées. Au collège on est maintenant vraiment ancré dans la réalité pour enseigner les maths. C'est plus difficile au lycée, car les contenus sont différents. Mais n'est-ce pas logique, inscrit dans une progressivité normale ? Ou bien va-t-on enseigner la philo sans manier d'idées, sans abstrait aussi ? Et les études de textes, en français ?
C'est vrai ensuite, les maths souffrent d'une image déformée dans l'esprit de certains parents. Pas tous. Mais quand je compte dans ma classe de troisième les élèves qui veulent aller dans un des lycées de Rouen réputé pour être " sélectif " et " avoir plein de S et pas du tout de STG ", cela m'attriste. Je milite sans relâche pour que mes élèves considèrent les maths comme partie intégrante de la culture. Mais utiliser les maths (en tant que discipline scolaire seulement, en plus) comme outil de sélection parfois méprisante, c'est comme monter des blancs en neige avec un rouleau à pâtisserie : c'est n'importe quoi. Et cela mène beaucoup d'élèves à des échecs cuisants.
Monsieur Peillon poursuit par :
" Il n'est pas possible de réussir à l'école sans sérénité, sans plaisir, sans confiance et sans motivation. Alors arrêtons d'opposer plaisir et effort. On peut être plus exigeant lorsque les élèves prennent du plaisir à apprendre que lorsqu'ils souffrent. "
Je suis complètement d'accord. Mais alors comment faire pour faire passer les mêmes contenus auprès d'élèves de collège sans problème de centre ville et auprès d'élèves qui ne peuvent bénéficier d'aucune aide à la maison, dans un milieu parfois hostile à l'école, ou qui arrivent en sixième sans savoir lire ? Quand pourrons-nous enfin laisser tomber les sacro-saints programmes et individualiser VRAIMENT ? Lorsque je propose à des élèves (qui n'ont pas acquis le niveau CM1 et qui sont en cinquième) une activité différente, qui les mette enfin en activité (le reste est hors de portée pour eux) et leur fasse travailler des compétences liées au programme, mais pas " comme dans le programme ", mes élèves m'interrogent : " Mais vous avez le droit, Madame ? Vous allez pas vous faire disputer ? ".
Enfin, monsieur Peillon termine par : " Les enseignants n'ont reçu ces dernières années ni la confiance ni les moyens dont ils avaient besoin. "
Sans blague. Et ça change, monsieur Peillon, avec vous ? Que dire des enseignants dont les postes sont supprimés alors que leur discipline compte des heures supplémentaires à foison ? Que dire des compléments de service dans d'autres établissements, alors que ce complément compte moins d'heures que les heures sup de l'établissement de rattachement ? Que dire aux collègues qui, après vingt ans de bons et loyaux services, se trouvent ballotés au gré de mutations subies, pour voir leur service partagé sur trois établissements ? Comment fait-on pour enseigner lorsqu'on est placé dans une situation de souffrance ? Quand on est prof dans une zone difficile, malmené et taxé de fonctionnaire fainéant ?
Je croyais qu'on ne travaillait bien que dans le plaisir. C'est le ministre qui l'a dit. Ca doit être vrai, non?
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