Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

dimanche 1 mai 2016

Neurophobie ou neurophilie ? Ni l 'un ni l'autre !

Sur Eduveille, Marie Gaussel a publié un article intitulé :

C'est une tendance forte en ce moment que de mettre en garde contre les neurosciences, ou plutôt contre un usage excessif, irraisonné, dans le domaine de l'éducation en particulier. Au travers de l'histoire, avec Piaget, Vygotsky, Dehaene et tant d'autres dont les travaux ont été déterminants, on s'aperçoit qu'à chaque nouvelle "tendance" liée aux découvertes scientifiques, il y a emballement. Ce qui est surprenant, c'est que nous mettions tous nos oeufs dans le même panier aussi facilement, que ce panier soit pour ou contre les neurosciences, et ce à toutes les époques, comme si une découverte scientifique était forcément juste et définitive.
En même temps, c'est beau, l'enthousiasme...

Cet article s'inscrit tout à fait dans cette démarche : celle de la réflexivité, à l'image aussi du très intéressant dossier de veille de l'Ifé consacré à ce thème, dont voici une partie du résumé :

"Ce Dossier d'actualité n° 86 de septembre 2013 aborde la manière dont les neurosciences appréhendent l'apprentissage(...).
Nous évoquons également dans ce dossier les répercussions issues de la fascination et du pouvoir « scientifique » qu'exerce la neuro-imagerie sur le public, les enseignants et les décideurs, avec par exemple la volonté de certains neuroscientifiques de transférer les résultats de leurs recherches en salle de classe et de former les enseignants aux méthodes pédagogiques les plus efficaces. Cette « neurophilie » peut également être à l'origine de mauvaises interprétations des résultats de recherche, appelées ici neuromythes."


L'article d'Eduveille fait référence à une émission de France Inter, La tête au carrée du 5 avril, consacrée à la mémoire et à la neuro-éducation. "Pendant l’émission, une enseignante invitée sur le plateau a mentionné le mythe des styles d’apprentissage VAK (visuel, auditif, kinesthésique) sans aucune réaction des scientifiques présents sur le plateau. La supposition implicite dans ces styles d’apprentissage est de dire que l’information n’est traitée que par un seul canal perceptif, indépendamment des autres canaux, ce qui va totalement à l’encontre de ce que l’on sait aujourd’hui sur l’interconnectivité du cerveau. (...) Bérengère Guillery-Girard rebondit même sur la notion d’apprentissage multimodal qui fait référence à une autre théorie qui, bien qu’extrêmement populaire, n’a jamais été corroborée, celle des intelligences multiples. Cette notion à été dénoncée par exemple par John Geake qui affirme que la notion d’intelligences multiples n’a jamais été démontrée en neurosciences. Selon lui, il y aurait une intelligence générale qui s’exprime dans plusieurs domaines reliés entre eux."

Voilà un excellent exemple de l'emballement médiatique ou pédagogique, je trouve. Imaginer que le VAK ou les intelligences multiples permettent d'apporter des réponses à tous les problèmes est forcément excessif : l'humain est bien (heureusement) plus complexe que cela, et chacun d'entre nous le sait ! Pour autant, travailler sur les différentes façon d'exercer sa réflexion, de mémoriser, d'interpréter et de s'approprier des contenus scolaires est un travail intéressant, utile et nécessaire à la réussite des élèves : cela leur permet de comprendre leur propre complexité, d'élaborer des stratégies personnelles sans s'enfermer dans les méthodes qui ne leur correspondent pas forcément. Mais pourquoi faudrait-il forcément devoir tirer des conclusions définitives et universelles de tels outils ? C'est tentant car cela permettrait d'avoir des recettes magiques pour faire réussir mieux nos élèves, mais c'est dangereux et peu réaliste. L'enseignante interrogée sur France Inter le dit bien, d'ailleurs. Ces outils permettent d'avancer dans la réflexion, de communiquer, de nous enrichir les uns et les autres, bref, d'apprendre sur soi et les uns sur les autres. Ce n'est pas une baguette magique, car il n'existe (heureusement) pas de baguette magique dans ce domaine.

Pour exposer souvent en formation la façon dont j'utilise par exemple les intelligences multiples, c'est vrai que je constate que parfois dans un premier temps les stagiaires ont tendance à s'emparer de ce type de dispositif d'une façon trop peu nuancée, sans la prudence indispensable. Utiliser le VAK ou les intelligences multiples pour classifier, catégoriser des profils mentaux ne peut conduire qu'à amenuiser les performances des élèves, en fermant des portes, alors que justement tout l'intérêt est de faire découvrir la richesse de nos profils mentaux, de faire réfléchir aux apprentissages, et à qui nous sommes. Pour cela, il nous faut leur expliquer les dangers et 'erreur que constitue la classification des cerveaux par "types".

C'est ce qu'on appelle la neurophilie : la fascination pour toute information impliquant le cerveau. Marie Gaussel écrit : "même si les informations sur l’utilisation de la mémoire, ou plutôt des mémoires, sont très instructives, les connaissances sur le fonctionnement du cerveau ne suffisent pas à expliquer tous les processus mentaux liés à l’apprentissage dans la salle de classe, ni même à donner des « trucs » comme le dit l’enseignante questionnée lors de l’émission. Restons vigilants pour ne pas tomber dans l’utopie des promesses trompeuses de la « neuro-éducation » !".

En effet, restons vigilants et n'oublions pas de réfléchir en permanence, et de toutes les façons possibles, sans hésiter à tout remettre en cause face aux éléments nouveaux. Au pire nous nous tromperons, et nous ou d'autres après nous découvriront de nouveaux éléments et corrigeront !

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