Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

jeudi 11 décembre 2014

Des parallèles qui rigolent et des points qui ont froid

Aujourd'hui en sixième, début du thème "représenter et mesurer le monde qui nous entoure". J'adore ce thème, parce qu'il parle de fondamentaux, parce qu'on peut le traiter de façon rigolote et parce que le perception du monde au sens physique du terme n'est ni évidente ni universelle.

Les conséquences d'un loupé dans ce domaine sont nombreuses et parfois invalidantes. Il y a, entre autres :
- les problèmes de proprioception : dénombrer des cubes unitaires dans une construction qui comporte des  morceaux cachés est très difficile pour les jeunes collégiens, et laisse entendre qu'ils n'appréhendent pas correctement leur environnement. Ils ne l'imaginent souvent pas correctement, et ne prennent pas non plus correctement leur place dans le monde physique.
- les problèmes de lexique, qui font que les élèves ne comprennent plus le langage utilisé en classe, au bout d'un moment, donc décrochent.
- les soucis de notations, qui font qu'en quatrième et ensuite, dans une démonstration, les objets mathématiques ne sont pas désignés correctement. Cela apparaît souvent comme un détail aux élèves, et pourtant beaucoup d'outils mathématiques s'appliquent à une nature précise d'objet mathématique. Se tromper sur une
notation, c'est souvent se mettre à parler (sans en avoir conscience) d'autre chose que ce que l'on envisage en fait. Et cela invalide les raisonnements.
Sur ce dernier point, j'ai récemment pris une classe un peu à rebrousse-poil. J'avais expliqué aux élèves que dans leur devoir maison, il fallait absolument clarifier les notations, et pourquoi c'est important. Les élèves n'avaient manifestement pas du tout envie de travailler là-dessus, ni de modifier leurs habitudes. J'ai entendu un "oui mais vous vous voyez ce qu'on veut dire, donc vous pouvez remplacer dans votre tête pour que ce soit bon". Ah ben d'accord, on va faire pareil en classe, là tout de suite avec vous mes cocos. J'ai poursuivi le cours en appelant Aurélien Adrien, Eglantine Emelyne, Alex Axel et Souleymane Soulimane.
Ca a fait son effet : tous trouvaient cela insupportable. J'ai fait le parallèle avec les notations et les lexiques en général : les mots, les noms, les notations, ce n'est ni pour faire joli ni pour embêter les pauuuuuuvres élèves. C'est pour se comprendre, tous, et donc partager, transmettre, apprendre, se comprendre. Préserver l'identité de ce dont on parle, de ce à quoi on pense.


Alors cette année j'ai décidé d'aller plus loin dans ce que je pratiquais déjà l'année dernière : faire faire des liens entre objet géométrique et sensible, utiliser le corps comme outil d'appropriation.
deux segments perpendiculaires
J'ai demandé aux élèves, d'abord, de me faire "une ligne, mais une seule". J'ai obtenu au départ une ligne droite. Comme certains élèves s'interrogeaient, nous avons donc parlé de courbe, de droite, de demi-droite puis de segment. Les élèves ont représenté tout ça, en devant unir leurs forces et, surtout, se mettre d'accord. Ce n'était pas évident du tout, mais ils ont réussi avec une efficacité certaine.
Nous avons parlé d'infini, d'illimité, certains ont suggéré qu'un segment allait d'une ville à l'autre alors que la droite faisait le tour de la Terre sans jamais s'arrêter. D'autres ont émis leur désaccord, expliquant que la Terre est ronde et que ce dont parlaient leurs camarades n'était pas une droite, mais une courbe.

Comme ils avaient formé un fort beau segment, tous collés les uns aux autres, j'ai pu leur demander ce qu'était un segment pour eux. L'analogie un élève/un point est venue tout de suite, ainsi que les idées d'extrémités. Sauf que là, nos extrémités avaient des prénoms.
Nous avons alors parlé du point comme objet mathématique, différent de sa représentation sur la feuille, différent aussi du point qui termine une phrase. Les élèves m'ont d'eux-mêmes fait remarquer que finalement n'importe quel objet mathématique n'avait d'existence précise, au travers de sa définition ou de ses propriétés, que mentalement, car lès lors qu'on le représente, on représente autre chose. Un point n'a pas de surface, une droite n'a pas d'épaisseur, et pourtant sur ma feuille leurs représentations en ont.

deux segments de directions parallèles
Puis nous avons revu parallèles et perpendiculaires, en croisant pas mal de représentations abusives et en farfouillant du côté du choix de la définition de deux droites parallèles :
"deux droites parallèles elles vont dans le même sens"
"deux droites parallèles elles sont comme des rails de chemin de fer"
"deux droites parallèles elles sont aussi loin l'une de l'autre, mais partout"
"deux droites parallèles, elles ne se croiseront jamais",
etc.
Pour représenter des segments de direction parallèle, c'est amusant de constater que les élèves ont systématiquement cherché au sol des repères, des bordures ou des lignes peintes pour se ranger. Ils voulaient à tous prix une référence. Ils ont eu le réflexe, au départ, de constituer un segment filles et un segment garçons. Des garçons, en particulier, cherchaient systématiquement à cloisonner filles et garçons.

Angèle, centre et pas milieu
Enfin, j'ai demandé à Angèle de jouer le point fixe (ce qui était un enjeu à soi tout seul, Angèle ayant une forte propension à gigoter et là en plus il faisait salement froid et nous avions tous envie de sautiller pour nous réchauffer). Puis j'ai demandé aux autres de tous se placer à la même distance d'Angèle. D'abord les élèves ont formé des espèces de lignes bizarres à partir de la position d'Angèle, mais Salomé a eu l'idée " Mais non, il faut qu'on fasse un cercle, il faut qu'on fasse un cercle !" et hop, un (truc ressemblant à un) cercle s'est formé autour d'Angèle, toute ravie d'en être le centre.
Lorsque j'ai demandé la définition du cercle, tout le monde me l'a formulée comme l'ensemble des points situés à la même distance du centre, forcément. Je verrai la semaine prochaine ce qui restera de cette lumineuse vérité.

un bout du cercle. Un arc, donc.
De retour dans la classe, à la question "pourquoi pensez-vous que nous ayons commencé ce chapitre dehors, comme ça ?" j'ai eu globalement trois types de réponses :

- parce que vous aimez bien qu'on s'amuse / parce que vous ne voulez pas qu'on s'endorme

- parce que vous aimez bien essayer des trucs / parce que vous aimez bien nous surprendre

Et, réponse majoritaire qui m'a fait fait bien plaisir :

- parce que vous voulez qu'on comprenne vraiment / parce que vous voulez qu'on comprenne de dedans / parce que vous voulez qu'on sente ce que ça veut dire tout ça.

Oui, les jeunes. Tout ça c'est vrai, mais surtout les dernières propositions.




2 commentaires:

  1. super intéressante, ta démarche ! Je pense que je vais m'inspirer très fortement de ton expérience pour l'an prochain, avec mes 6ès !
    signée une collègue qui doit avoir à peu près le même âge que toi ! (je retiens aussi l'idée du cric avec mes 4è pour l'an prochain)

    tu m'épates avec toutes tes idées !!! bravo !

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  2. Merci ! Ton commentaire me fait vraiment plaisir, et m'encourage à poursuivre !

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