Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

vendredi 19 décembre 2014

Des histoires de thermomètres

Dans Libé, plusieurs articles viennent de paraître concernant les notes à l'école, avec un pour ou contre : " Entretiens avec le sociologue Pierre Merle et l’enseignant Jean-Paul Brighelli sur la réforme de l’évaluation des élèves. "

Commençons par Pierre Merle, sociologue (je lui ai consacré un article ici il y a peu, aussi sur les notes) :

A mon avis, il n’y a que des inconvénients (à noter). D’abord, elles dépendent beaucoup du correcteur (...). Ensuite, il existe des biais sociaux de notation : le professeur est inconsciemment influencé par le statut de l’élève - fille ou garçon, redoublant, enfant de milieux populaires ou de parents cadres. Enfin, la note crée une hiérarchie entre les bons et les faibles. (...)
J’ajouterai que la note n’a jamais encouragé à bien travailler. Un bon élève travaille souvent pour avoir de bonnes notes, et ne s’intéresse pas toujours aux remarques des professeurs sur sa copie.

C'est vrai. Pourtant, la partie formative, c'est l'appréciation. C'est là que les conseils sont donnés, qu'il y a matière à réfléchir, à nuancer la note justement.

On pourrait, comme en Finlande, réduire le nombre de notes. Les Finlandais ne vont pas en dessous d’un 4 sur 10 pour désigner l’échec. 

Là, je m'arrête, car je ne suis pas d'accord. Remplacer 0 par 4 ne va pas tromper longtemps les élèves ni leurs parents. Cela me parait tout à fait langue de bois, mais la signification est tout aussi violente.

Notre échelle de notes est absurde. Trop d’élèves sont en dessous de la moyenne. Et elle rend le professeur schizophrène : en cours, il prépare ses élèves, il est comme un entraîneur ; puis, le jour du contrôle, il glisse parfois des chausse-trappes et devient alors un sélectionneur.

Ce n'est pas l'échelle de notes qui est absurde en elle-même, mais la façon dont on attribue telle ou telle note. Par exemple, beaucoup d'enseignants ne mettent jamais 20/20 sous prétexte que le travail de l'élève n'est pas "parfait". Or 20/20, cela signifie juste qu'à ce moment précis, l'élève a acquis les notions et les compétences mises en jeu dans l'évaluation, ni plus, ni moins.
La note telle qu'elle est utilisée par les enseignants et vécue par les élèves est un vestige d'une autre époque : elle ne correspond pas au système de développement de compétences de plus en plus utilisé en classe pour faire progresser chacun selon ses possibilités du moment.
Passer à des évaluations par compétences implique tout un travail pour l'enseignant, notamment la nécessité de repenser le contenu de ses cours. Ensuite, le système est certes désastreux pour les élèves qui sortent sans diplôme, mais pour les vainqueurs de la compétition scolaire, ce n’est pas un problème. C’est pour cela que ceux qui ont la parole publique le défendent.
Ben oui. Les ex bons élèves, ou les parents de bons élèves actuels préfèrent les notes, puisqu'ils sont valorisés ainsi, meilleurs que "les autres". On entend aussi beaucoup dire qu'il faut garder les notes car certains élèves n'aiment pas leur abandon et ne vont pas s'y retrouver. Sauf qu'en observant les miens, d'élèves, il me semble évident que beaucoup plus d'élèves s'épanouissent ( et travaillent !) sans la note. Ceux-là, ce n'est pas parce qu'ils ne disaient rien avant qu'ils aimaient ce système. Aucun système, de toute façon, n'a jamais contenté tout le monde.

La question n'est pas de savoir qui aime et qui n'aime pas, ni même dans quelles proportions. La question est de savoir quel système profite à davantage d'élèves, quel système prépare les jeunes à devenir des adultes accomplis et autonomes.



Continuons avec Jean-Paul Brighelli, professeur de lettres modernes :

Officiellement, 10% des élèves à l’entrée en 6e ne savent ni lire ni écrire. Officieusement, selon les établissements, cela peut monter à 40%. Avec de tels taux, ils ne peuvent pas avoir de bonnes notes. 

Certes. Quelles sont ces stats officieuses, j'aimerais le savoir. Mais je suis d'accord, la maîtrise de la lecture et de l'écriture sont des prérequis indispensables pour construire son savoir. 
Toutefois ne pas noter, ce n'est pas éviter de mettre de mauvaises notes. Ce serait simplement lâche, ça. Ne pas noter, c'est évaluer différemment, plus précisément, pour mettre en valeur les acquis et pouvoir remédier aux difficultés.

Supprimer les notes, c’est supprimer le thermomètre pour qu’on ne sache pas qu’on a la fièvre.

Quand un élève n'a pas acquis une compétence, note ou pas, il est au courant, puisque le professeur le lui signifie. C'est juste passer du thermomètre au mercure au thermomètre électronique, de lâcher la note pour l'évaluation par compétences. Et puis bon, ne pas réussir à l'école n'est pas une maladie. C'est un handicap pour l'avenir, heureusement pas rédhibitoire, mais très embêtant, à divers égards.

C’est aussi repousser le problème jusqu’au moment où il ne sera plus soluble: l’examen final. Personne ne parle de supprimer les notes au bac.

En effet. On parle juste de supprimer le bac. Ce n'est pas fait, loin s'en faut, et ça risque de mettre le feu, mais on en parle quand même.

Rien de tel qu’une évaluation claire, franche, pour identifier les problèmes et aider à redresser la barre. Cesser de noter les élèves parce qu’ils ont des difficultés, c’est se moquer d’eux. Si on ne leur dit pas la vérité, on ne les emmène nulle part. Respecter les élèves, ce n’est pas leur éviter des microtraumatismes, mais leur dire la vérité et leur tenir la main pour les aider à passer le gué.

Heu ok, je reste calme. Est-ce à dire qu'une évaluation non notée classiquement n'est ni franche, ni claire ? Et pourquoi ???
S'il y a bien quelque chose que je ne fais pas, c'est me moquer de mes élèves. Au contraire, je les prends terriblement au sérieux. Les forts, les faibles, les moyens, les ça dépend, les en situation de handicap. Je ne me moque tellement pas d'eux que je cherche à les faire progresser, chacun. Et comme ils ne travaillent pas au même niveau, parce qu'ils ne le peuvent pas à un moment donné, je ne les évalue pas non plus avec une note universelle. Leur progression compte autant que les acquis, que leur "niveau".
Ma vérité à moi me semble plus complète : tu sais faire ça, ça et ça, mais pas ça ni ça. En quoi un 9/20 est-il plus "vrai" ? Et où sont les arguments dans ce passage de l'interview ?

Pourquoi ne pas évaluer en ayant recours à des systèmes plus nuancés ? Qui distinguent, par exemple, les différentes compétences…

Ok. Je ne comprends pas vraiment en fait, mais pourquoi pas.

On va accumuler les pastilles vertes, les pastilles rouges, se retrouver avec des copies couvertes de pastilles auxquelles on ne comprendra plus rien. Les grilles d’évaluation à multiples cases qui font perdre un temps fou ont déjà montré leur échec. On accole des microcompétences et on élude la question du savoir.

Non. Ce sont des pratiques différentes, qu'il faut s'approprier et ce n'est pas immédiat, d'accord. Mais si nous baissons les bras au premier effort, nous ne montrons pas vraiment l'exemple à nos élèves. Changer nos pratiques, nos regards, c'est une gymnastique. Pourquoi ne pas laisser ceux que cela amuse ou met en appétit essayer ? Quant à la question du savoir, je ne vois nulle part où elle est éludée, bien au contraire. La bienveillance n'a de sens qu'assortie d'une exigence assumée, d'ambition pour nos élèves.
Nos élèves sont capables de comprendre un système par compétences. Nul besoin de le résumer par une note pour qu'ils parviennent à comprendre où ils en sont.

Il faut arrêter de comparer la France avec des pays qui n’ont rien à voir avec elle. Nous n’allons pas faire comme la Finlande, petit pays à population homogène très différente de la nôtre, nous n’allons pas faire non plus comme le Sud-Est asiatique.
Aaaaah ben voilà, nous avons trouvé un terrain d'entente, cher monsieur ! Arrêtons avec les pays bénis du Nord, arrêtons de comparer ce qui n'est pas comparable. Ni avec la Suède, ni avec le Japon ou les autres. Cessons d'essayer de courir plus vite que "les autres", et essayons de courir plus vite, nous, qu'avant. Ou de courir mieux. Ou mieux et plus vite, tant qu'à faire.


Et surtout, chers médias, lâchez-nous avec cette question de la note ou pas de note, qui phagocyte tous les autres débats, débats qui souvent sont plus fondamentaux. Il est plus important de se demander comment enseigner, quoi évaluer, sous quelle forme, que de savoir si cela se traduira par des points colorés, des lettres, des notes ou des bonshommes qui font la tête ou qui sourient. On peut mal enseigner avec des notes, mal enseigner sans note. On peut être un prof génial avec des notes, et aussi sans les notes.

Supprimer la note est une conséquence naturelle liée à des changements de pratiques pédagogiques qui, eux, sont nécessaires et urgents pour s'adapter à nos jeunes, à leurs besoins. Ce n'est pas un point de départ. Ni un passage obligé.

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