Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

mercredi 31 décembre 2014

Des bandes pour soigner l'école

Après notre visite au Musée National de l'Education, mon prof d'histoire-géo préféré nous a trouvé des bandes enseignantes Freinet. Elles sont arrivées aujourd'hui, et maintenant mon mari essaie de nous dégotter une visionneuse : ce serait encore plus chouette de pouvoir les utiliser comme le proposait Célestin Freinet.


Les bandes enseignantes sont un des outils de l'enseignement programmé. Sur le site de l'ICEM (Institut Coopératif de l'Ecole Moderne), on trouve ici un document qui explique de façon très complète leur utilité et leur utilisation.

L'idée des bandes enseignantes est empruntée par Freinet à la pédagogique des Etats-Unis, mais adaptée à ce qu'il pense efficace :
Avant d'étudier en détail cette nouveauté, il ne serait peut-être pas inutile de la situer dans l'évolution plus ou moins récente de la pédagogie.
Nous sommes en effet à ce point subjugués par la mécanique américaine que nous avons tendance à ne considérer les machines à enseigner que comme le résultat des récents progrès de l'électronique. On en oublie la réalité toute simple : les machines à enseigner sont vieilles comme le monde.

Nous avons donc, d'une part, la théorie traditionnelle qui ne saurait s'accommoder des bandes enseignantes ; d'autre part la théorie américaine dont nous aurons à dire les faiblesses. Entre les deux, une théorie fumeuse de l'analogie, sur laquelle il sera difficile de baser une méthode de travail.

Freinet décrit la méthode américaine comme élaborée par et pour les Américains. Il cite André Tilquin :
« C'est parce qu'il est vraiment un produit américain, parce qu'il sort de l'esprit américain, que le behaviorisme était apte à en satisfaire les besoins. (...) Le peuple américain est un peuple d'hommes pratiques, avant tout, qui jugent d'un système d'idées comme d'une machine, par ses applications à la vie et aux affaires, par son utilité, par son rendement ; qui ont en conséquence le goût du concret et la passion du fait. 

Le behaviorisme, psychologie d'objet, de faits observables, enregistrables, mesurables, contrôlables ; de prévision ; qui identifie l'esprit avec le comportement, qui étudie l'homme vivant dans ses ajustements au monde des objets familiers et des affaires, et le conçoit comme une mécanique, correspond parfaitement à ce qu'exigeait le tempérament américain »

Mais, selon Freinet, le système américain a des défauts : il s'appuie trop sur l'automatisation des réponses et induit un "conditionnement systématique qui, sous couvert d'un pavlovisme rendu abusivement automatique, entache les formes majeures de l'éducation contemporaine." Le conditionnement par la répétition n'est pas, pour Freinet, un processus d'apprentissage.

Parmi les bienfaits de la machine à enseigner identifiés par Freinet, on trouve entre autres "qu'elle donne à l'enfant une sorte d'autonomie qui le délivre du carcan scolaire, que l'éducateur n'a plus besoin de consacrer du temps en classe aux interrogations courantes et aux examens (notre pédagogie préconise même la disparition totale des leçons magistrales, telles qu'elles se pratiquent à l'Ecole traditionnelle, suivies d'exercices et d'interrogations), que l'examen des réponses fournies par les élèves aux questions posées dans les programmes permet aux professeurs de savoir à l'avance, en préparant leurs cours, sur quels points ils auront à donner des explications complémentaires (c'est plus efficace que les gronderies ou les punitions, plus efficace même que tous les « renforcements » artificiels), qu'on se rend compte avec les bandes que l'explication ne paie pas (c'est par l'exercice, l'expérience et le travail que nous corrigeons les déficiences)."

Je m'aperçois seulement aujourd'hui comme Célestin Freinet et ses théories m'ont amenée à ma façon d'enseigner actuelle. Je me suis imprégnée de ses idées sans même m'en apercevoir vraiment. C'est une impression curieuse, et en même temps je m'inscris complètement en tant qu'élève de sa pédagogie : c'est par l'expérience, la réflexion, tous les exemples qui sont mis à disposition que j'en suis arrivée là. Pas par du "verbiage" théorique souvent dénoncé par Freinet.

Mais j'en reviens à mes bandes enseignantes. Elles sont de deux types.
  • Les bandes de découverte et d'exercices guidés. Freinet les appelle des bandes "linéaires". Elles commencent par des indications du type "Ecris en titre sur une feuille de ton classeur : construction de l'ovale.", puis explique le but de l'activité proposée, avec des mises en garde du type "Ce n'est pas difficile mais fais bien attention à ce qu'on te dit de faire." Ensuite, l'élève trouve la liste du matériel nécessaire : un crayon bien taillé, un compas, une règle graduée. Puis les différentes étapes sont proposées, pas à pas, en un minimum de mots. On propose à l'élève de s'aider de la figure en déroulant la suite de lavande, s'il en a besoin. Sinon, ladite figure lui sert à vérifier qu'il avance correctement.




  • Les bandes «à choix multiples, pour aiguiller l'élève sur une nouvelle voie ». Celle que nous avons reçue sur la multiplication en est un exemple. L'élève avance dans les tables. Selon son nombre de réponses fausses, il passe à un niveau ou à un autre de la bande.


C'est tout à fait le genre de choses que je pratique en salle info :

 Je craignais que ce type de travail soit trop compliqué à comprendre, et en fait les enfants avaient tout de suite compris et adhéré.

 Je suis toute contente avec mes bandes enseignantes et cela apporte de l'eau à mon moulin pour les tablettes. Mais je n'ai pas fini de réfléchir.

Comme en ce moment la fatigue et un relatif isolement professionnel me minent un tantinet, je termine par ces mots de Freinet :

«Que les bonnes volontés ne se découragent pas car souvent tout est vrai, 
alors que tout semble faux ».

lundi 29 décembre 2014

Super Brocoli contre Lex Hamburgor

Le Figaro.fr reprend (ici) un article de Clinical Pediatrics de Kelly Purtell (Université de l'Ohio) et Elizabeth Gershoff (Université du Texas) intitulé
Fast Food Consumption and Academic Growth in Late Childhood.
Selon elles, les enfants qui, vers 10 ans, consomment "le plus souvent ce type de nourriture, ont à l'entrée en 4e fait jusqu'à 20 % de progrès en moins en lecture, mathématiques et sciences, que ceux ignorant l'appel des frites et du soda."

Alors là, paf dans la tête des hamburgers.

Premier constat : parmi les enfants suivis par l'étude consomment beaucoup de nourriture type fast-food. Par exemple 71% des enfants interrogés en ont mangé au cours de la semaine précédente.

Deuxième "constat" : les enfants étudiés ayant mangé du fast-food quatre à six fois durant la semaine précédente sont en difficulté en lecture, maths et sciences. Ceux qui ont mangé "fast-food" une à trois fois dans le même laps de temps n'ont des difficultés... qu'en maths.


Ma première réaction a été de me dire que la corrélation fast-food/difficultés scolaires était biaisée, et qu'elle loupait un intermédiaire d'ordre social. Alors j'ai lu l'article en entier.
"Les auteurs ont pris soin d'éliminer «tous les facteurs connus qui pourraient influencer la réussite aux tests», explique Kelly Purcell. Mais «l'effet fast-food» sur les capacités scolaires perdurait même en prenant en compte la quantité d'exercice physique, le temps passé devant la télévision, le reste de l'alimentation, le niveau socio-économique de la famille et les caractéristiques du quartier où vivaient et où étudiaient les enfants." explique l'article du Figaro.

«Tout en admettant que son étude ne prouve pas que le fast-food est l'unique responsable,  Kelly Purtell reste convaincue que hamburgers, frites et soda font du tort à l'intelligence de nos chères têtes blondes. Des études précédentes ont montré que ce type de nourriture est pauvre en nutriments essentiels au développement cognitif, ou que les régimes riches en sucres et en graisses affectent la mémoire immédiate et les processus d'apprentissage. La consommation devraient en être aussi réduite que possible.»

C'est incomplet, forcément, comme exposé. C'est normal, l'article du Figaro ne se veut pas exhaustif. Mais ma curiosité est piquée... J'ai lu le résumé sur clinical pediatrics, mais je n'ai pas pu accéder à l'article complet. J'ai donc farfouillé dans la presse US pour glaner des précisions (ici, et aussi ).

http://qz.com/316329/new-evidence-that-fast-food-is-bad-for-kids-learning/
Il ressort de ces lectures que l'étude n'explique pas vraiment en quoi la composition des aliments fast-food nuit aux performances scolaires, voire intellectuelles. Mais j'ai trouvé ailleurs que cette nourriture manque de fer, un nutriment clef dans le développement cognitif, de zinc et de magnésium, et est trop riche en acides gras saturés et en sucre, qui perturbent les processus de mémoire et d’apprentissage immédiats.

En résumé, à bas les hamburger, vive le brocoli !
Spéciale dédicace à monsieur Brocoli...

Qu'Allah bénisse la France

Je suis allée voir le film du rappeur Abd Al Malik, Qu'Allah bénisse la France.


Au départ, le film m'a attirée parce qu'il me semblait aborder la question de la façon de vivre l'Islam en France aujourd'hui. Et puis Abd Al Malik, dans les interviews qu'il a récemment données, semblait attribuer à l'école un rôle positif. Par exemple, dans l'interview de Coralie Bach sur le site Vousnousils, il déclare :

« Mes années d'école années comptent parmi les meilleures. J’ai eu la chance de rencontrer des professeurs qui m’ont donné le goût d’apprendre. J’ai pu développer une curiosité et une ouverture d’esprit. 
C’est notamment grâce à mes enseignants que j’ai pris une direction positive. L’école a réellement été une chance pour moi, je suis le résultat positif de l’Education nationale. Ce serait bien que ce soit le cas pour tout le monde.
Nous devons arrêter de les dénigrer (les enseignants). J’entends trop de personnes dire que les enseignants sont des fainéants qui ne font pas leur travail… Je trouve cela très grave. »

Le film Qu'Allah bénisse la France est adapté du live éponyme d'Ab Al Malik. Le rappeur souhaitait montrer que vivre en harmonie est possible, que les frontières des cités sont symboliques et peuvent être traversées, dans les deux sens. Mu par sa foi, il revendique l'amour de la France, le respect de la République. Il considère qu'il a réussi "par chance", et que ce n'est pas normal.

C'est Abd Al Malik qui a réalisé son film. Un premier constat s'impose : esthétiquement, c'est vraiment une réussite. Les images, les visages, la cité, tout en noir et blanc et avec sobriété et humanité, c'est beau.

Ensuite, le propos est sincère. Abd Al Malik montre la vie dans la cité, à Strasbourg, de façon directe, crue, sans fard. Ses références à La Haine sont évidentes.Il filme avec froideur et humanité, et ça c'est fort. Mais il expose aussi sa propre histoire de la même façon : il n'a pas toujours fait les "bons" choix, l'assume mais ne le glorifie pas.


Tout est équilibré dans le film : l'Imam (remarquable), la police (avec des hauts et des bas...), l'intolérance (vers et dans la cité, et même entre musulmans), les rapports humains. Les personnages sont complexes (Sabrina Ouazani est lumineuse, Mickaël Ragenraft extraordinaire). L'accès d'Ab Al Malik à l'Islam est beau, son évolution intéressante, sa juxtaposition avec la chrétienté de sa maman naturelle, mais là j'aurais aimé que cet aspect soit plus développé. Sur l'Islam, Abd Al Malik déclare, sur La Nouvelle République.fr :
« Il y a une incompréhension. Si elle est d'ordre intellectuel, on peut toujours la régler : entre gens intelligents et rationnels, on peut toujours s'entendre. Et la France est un pays de tradition intellectuelle. Le problème, c'est l'angle que prennent les médias, en privilégiant les aspects négatifs. Le problème, c'est l'utilisation des mots, par exemple lorsqu'on parle d'islam " modéré ". Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Cela suppose donc que l'islam serait intrinsèquement violent ou négatif, et que certains pratiquants modéreraient ces tendances. Et ça pour moi, c'est grave : ça veut dire qu'on est dans le jugement. Or l'islam, le judaïsme et le christianisme sont des religions sœurs, qui relèvent de la même tradition monothéiste, et en ce sens-là elles doivent être traitées de la même manière. Malheureusement, cela n'est pas le cas, notamment de la part de certains médias ou de certains politiques. »
Je trouve ça très bien vu et très bien dit.


Mais ce qui m'a manqué avec ce film, c'est de comprendre où Abd Al Malik veut en venir. Tout dans son film m'a intéressé, le temps est passé vite, j'ai été émue, en colère, mais l'ensemble m'a paru décousu. Je n'ai pas vu beaucoup le rapport à l'école (mais ce n'est pas grave, c'est juste que je pensais le voir), mais je ne vois pas non plus la preuve comme quoi vivre en harmonie est possible. Nous sommes si loin les uns des autres, et la drogue semble régir l'économie des cités. Un passage du film, dans le vieux et joli Strasbourg, est angoissant de vérité : comment des lieux aussi différents peuvent-uils être si proches ? Pourquoi la vie des gens qui vivent ici ou là est-elle forcément aussi violemment différente ?

Alors je laisse le mot de la fin à Abd Al Malik :
« Quand je rends hommage à la France, à la République, à nos institutions, je rends hommage à quelque chose qui ne peut exister que s'il est incarné par des êtres. Ce que j'entends par là, c'est que la France est un merveilleux véhicule, mais le problème ce n'est pas le véhicule, c'est ceux qui le conduisent. La vraie problématique, elle est là. Le film est un hommage à mon pays, au génie français. Mais il exprime aussi le fait que nous avons des responsabilités. Que le monde politique a des responsabilités, que les médias ont des responsabilités dans ce qui se passe ».

dimanche 28 décembre 2014

Evolution, pas révolution

Un ami m'a envoyé une vidéo de la chaîne YouTube Veritasium. Cette chaîne éducative est décrite par Wikipedia comme proposant des vidéos de vulgarisation scientifique, "sur des sujets souvent d'actualité, surprenants ou mal compris. Le nom de la chaîne, « Veritasium », est un agencement entre le mot latin Veritas, signifiant « vérité », et la fin du nom de plusieurs éléments chimiques « ium ». La chaîne crée ainsi la phrase « Veritasium, un élément de véritétrad 1. » Le numéro atomique de l'« élément » est , l'unité imaginaire. Sa masse atomique est 42,0, une référence à La Grande Question sur la vie, l'univers et le reste."

La vidéo présentée dans ce post parle des nouvelles technologies dans l'éducation. Derek Muller, le créateur australien de la chaîne, y explique que l'utilisation des nouvelles technologies (vidéos, animations, tablettes, internet, etc.) ne constitue pas une révolution, mais une évolution importante dans le domaine éducatif. 

    fax et minitel comme outil pédagogique
  • Ce n'est pas une révolution car cela fait bien longtemps que de tels supports sont utilisés pour enseigner. L'exposition du Musée National de l'Education à Rouen met d'ailleurs très bien en évidence l'histoire des "nouvelles technologies" appliquées à l'apprentissage, avec l'enseignement programmé par exemple. (Allez-y, c'est vraiment intéressant)
  • C'est une évolution importante car, comme le dit Derek Muller dans sa vidéo, l'apprentissage est plus efficace et facilité par la diversité des supports. Mais, comme souvent, la réussite de l'acte éducatif ne repose pas sur un unique media. Il faut varier, pour éveiller la curiosité, susciter l'intérêt et s'adresser aux multiples intelligences de nos élèves.
En fait, Derek Muller ne fait rien d'autre que préciser des choses dont il dit lui-même qu'elles sont évidentes. Mais, si elles sont effectivement évidentes pour qui met en pratique ou vit cela, elles ne le sont manifestement pas pour une grande part des médias, qui nous bassinent avec des idées monomaniaques, trop entières et donc caricaturales.


Vers la sixième minute de la vidéo, Derek Muller explique pourquoi il faut définitivement laisser tomber le fantasme de l'apprentissage sans prof (les profs remplacés par des vidéos, de l'enseignement uniquement à distance, les MOOC et tout ça). Il dit :

"Heureusement, le rôle fondamental de l'enseignant n'est pas de fournir l'information. C'est de guider le processus social de l'apprentissage.
Le travail d'un enseignant, c'est de motiver, de mettre au défi, d'intéresser ces étudiants qui veulent apprendre. Il explique et démontre, montre des choses, mais fondamentalement ce n'est pas son but. Le rôle le plus important d'un enseignant est de faire en sorte que chaque étudiant se sente important, qu'il se sente responsable de faire le travail d'apprendre."

lexidata, au
Musée National de l'Education
C'est bien ainsi que j'envisage mon métier. Le contenu n'importe pas vraiment. Nous devons former nos jeunes à savoir apprendre, à accéder à une autonomie concrète. Nos contenus fournissent en plus une culture qui accroît l'esprit critique, permet la compréhension du monde, mais ces contenus sont accessibles à tous autrement, pourvu que l'on dispose de méthodes d'apprentissage et d'une appétence au savoir suffisante. Et tout en cheminant, on progresse vers la liberté et l'indépendance de l'individu.

Les bandes enseignantes de Freinet

Joyeuzaaaanniversaire, mon blog !

Aujourd'hui, Pierre Carrée a un an !



Quelques "chiffres" :

  • 29727 visites en un an.
  • Le nombre quotidien de visites croît. Hier, le blog en a reçu 189.
  • Cette tendance à la hausse est confirmée par le nombre de visites du mois dernier : 3 464 visites, ce qui vaut plus d'un douzième du total (un neuvième environ)
  • Cet article est le 301ème, ce qui donne une moyenne de 25 article par mois. 
  • Le podium des articles les plus consultés :

                         Le grand gagnant, c'est L'infini, c'est pas un 8 qui dort.
                         Le deuxième, avec moitié moins de consultations, Pythagore et la boisson
                         Le troisième : Ton patron est triste ? Peins-le !

Prochain bilan dans un an !


samedi 27 décembre 2014

Jouer pour apprendre, de l' innovation ?

Non. Jouer pour apprendre ne relève pas du tout de l'innovation. D'ailleurs, comme le dit un excellent professeur d'histoire-géo, on n'innove pas, on recycle, car tant de bonnes idées ont déjà été émises que la tâche est déjà considérable à vouloir les adapter à notre époque et nos besoins.


Platon a écrit, dans Les Lois, entre -300 et -400 :
On commencera à leur enseigner le calcul, par manière de jeu et de divertissement, en leur faisant faire ces exercices imaginés précisément pour l'enfance et qui consistent à partager également des pommes et des couronnes entre un nombre plus ou moins grand de leurs camarades, ou à répartir à leur tour ou successivement et dans l'ordre habituel les rôles de boxeurs ou de lutteurs réservés pour remplacer le vaincu ou appariés pour le combat. On les amusera aussi en mêlant des coupes d'or, de cuivre, d'argent et d'autres matières semblables, ou en les distribuant toutes à la fois, comme je l'ai dit. En appliquant au jeu les emplois indispensables des nombres, on aidera ceux qui les auront appris à ranger et à conduire une armée ou une expédition, à diriger leurs affaires domestiques, et on les rendra certainement plus utiles à eux-mêmes et plus éveillés. Ensuite, quand il s'agira de mesurer des longueurs, des largeurs, des profondeurs, ils seront délivrés de cette ridicule et honteuse ignorance qui se rencontre naturellement chez tous les hommes relativement à tout cela.

Aux alentours de 1938, Johan Huizinga, dans son ouvrage Homo Ludens développe l'idée que c'est le jeu qui rend possible l’existence d’une authentique civilisation : pas de culture sans jeu. Le jeu contribue à la culture, est incontournable, et même la culture naît sous forme de jeu, la culture, à l’origine, est jouée.

D'après Albert Einstein, le jeu est la forme la plus élevée de la recherche. Et selon le Suédois Arvid Bengtsson, Jouer, c’est apprendre... à vivre ensemble, à connaître l’environnement, ... à coopérer


Plus récemment, Pennac a écrit, dans chagrin d'école :
Il faut savoir jouer avec le savoir. Le jeu est la respiration de l’effort, l’autre battement du coeur, il ne nuit pas au sérieux de l’apprentissage, il en est le contrepoint. Et puis jouer avec la matière c’est encore nous entraîner à la maîtriser.

Evidemment, jouer n'est pas toujours un acte éducatif dans une discipline donnée. C'est toujours éducatif dans le sens où cela développe des compétences transversales, comme la communication, la concentration, la logique, la patience, l'apprentissage des règles, etc. Mais on peut jouer dans toutes les disciplines. Avec réflexion, raison et plaisir. Pas n'importe quand ni n'importe comment, et pas tout le temps non plus.

A venir : et jouer aux jeux vidéo, alors, est-ce que ça peut servir à apprendre ? Oah le suspense, dingue !

vendredi 26 décembre 2014

La cyber-violence

extrait du guide contre la cyber-violence entre élèves, Vincent Peillon

Un article du Monde.fr abordait, le 2 décembre dernier, la cyber-violence et le rôle de l'école dans la  révention et la lutte contre ce phénomène. Catherine Blaya, professeure en sciences de l'éducation et présidente de l'Observatoire international de la violence à l'école, répond dans cet article au journaliste. Extraits :

La cyber-violence en milieu scolaire se développe, au collège comme au lycée.

Les filles ont 1,3 fois plus de risque d'être victimes que les garçons, car elles ont une plus grande propension à mettre en scène leur corps, en postant des photos d'elles. Cela attire les commentaires malveillants et la raillerie. Soumettre son estime de soi au regard d'autrui, c'est s'exposer au harcèlement.

Le machisme est la cause première de la cyber-violence, machisme auquel les filles participent aussi, en critiquant leurs congénères et en utilisant le même type d'arguments que les garçons. C'est le phénomène du « slut shaming ». Elles se font, elles-mêmes, l'instrument de la domination masculine.

Les auteurs de ce type d'agression cherchent des témoins pour faire du « buzz » et gagner des « like », afin d'asseoir leur popularité.  Sur les réseaux sociaux, le problème est démultiplié par un effet de viralité. Le danger supplémentaire d'Internet est que l'agresseur qui lance une rumeur sur la Toile ne peut plus la maîtriser après coup, même s'il se rétracte. Le mal est fait pour durer.


Il ne faut pas oublier que les agresseurs sont aussi des victimes dans la plupart des cas. C'est pourquoi il est important d'expliquer aux victimes que répondre à la violence par la violence, c'est prendre le risque de devenir soi-même agresseur. Ces derniers sont souvent des jeunes en quête de popularité qui n'ont pas confiance en eux, ou sont dans une détresse psychologique.

Un autre article est consacré à madame Blaya, sur le Nouvel Obs.fr, qui propose cette fois des conseils aux parents face à la cyber-violence et à l'utilisation d'internet par nos ados en général. En particulier, elle met en garde face aux visions générationnelles de l'utilisation des nouveaux moyens de communication, qui peuvent briser le contact avec nos enfants ou creuser des fossés plutôt que de les aider à faire face aux difficultés et aux dangers éventuels.



Ici, vous trouverez le guide prévention de la cyber-violence entre élèves de Vincent Peillon.

En cours d'acquisition ?

J'ai reçu récemment un mail d'un parent d'élève intéressant. Les échanges se poursuivent d'ailleurs depuis entre nous. La situation est un peu particulière, car ce parent ne peut pas suivre de façon régulière la progression de son enfant, mais y accorde un grande importance et veut pouvoir réagir rapidement pour l'aider ou le remettre au travail si besoin.
Dans ce cadre-là, mon système de transmission du niveau de l'enfant ne lui convient pas. Je retranscris ici des extraits de nos échanges, avec son autorisation.

Votre méthode pouvant paraître avant-gardiste ne me semble pas en phase avec celle de vos collègues qui eux décident d'évaluer leurs élèves par l'ancienne méthode, c'est à dire en les notant.

Mon souci n'est pas d'être avant gardiste mais de faire progresser davantage les enfants, à ma manière. Quant à être "en phase" avec mes collègues, je n'en vois pas l'intérêt. Chacun enseigne selon ce qu'il pense être bien. Si à un moment donné il faut harmoniser nos pratiques, nous pourrons y réfléchir, mais l'harmonie n'est pas courante dans mon métier. Et s'il y a harmonisation, je pense qu'elle se fera plutôt pour le sans note, vu l'air du temps et les études réalisées sur la question. 
Ce n'est pas en contraignant les enseignants, mais en leur montrant les avantages et un exemple de fonctionnement qu'ils peuvent avoir envie de tenter l'expérience. Ou pas, d'ailleurs: chacun doit rester libre de procéder selon sa conscience. D'ailleurs plusieurs collègues ont décidé d'abandonner la note dès la rentrée de janvier dans mon établissement. Cela en agace d'autres, c'est comma ça.

 Comment va réagir l'élève quand il devra faire face l'année prochaine à une évaluation chiffrée ? 

Bien, car les enfants y sont habitués. Ils sont très adaptables. D'ailleurs ils se sont approprié mon système d'évaluation naturellement, et passer ensuite à un cours évalué avec des notes ne les dérange pas. Beaucoup me disent préférer le sans note, tous ceux auxquels j'ai demandé de me décrire leurs forces et leurs faiblesses mathématiques ont su précisément le faire. Restent quelques très bons élèves qui aimeraient des notes pour pouvoir se comparer aux autres de façon plus directe. 

Par la méthode traditionnelle prônée par l'éducation nationale et que nous connaissons tous, les parents peuvent suivre et interpréter le niveau de leurs enfants. 

Les institutions de l'Education Nationale ne prônent pas l'évaluation sommative. Elles souhaitent que les classes sans notes soient généralisées.

Par la vôtre, nous ne savons pas où se situe l'enfant. Le terme " en cours d'acquisition" par exemple, ne nous permet pas à lui seul d'évaluer l'enfant. (...) Ce terme selon la personne qui l'emploie peut valoir un 12/20 ou un 9/20 selon l'évaluation traditionnelle. Ces deux notes qui pourtant peuvent être regroupées sous la même notion "en cours d'acquisition" n'auront pas la même valeur aux yeux des examinateurs d'épreuves tel que le BAC  :  Le candidat dans un cas aura son bac et dans l'autre non !

Je ne suis pas d'accord, mais cette partie de nos échanges m'intéresse particulièrement. 

http://skepticaesoterica.com/debunking-fake-albert-einstein-quotes/
Je ne suis pas d'accord car la note est hautement subjective et c'est bien là un problème. Un élève peut en effet obtenir ou non son bac selon quel correcteur l'a corrigé. Heureusement, l'inspection veille sur les résultats et interroge, voire demande une double correction, lorsqu'un paquet de copies reçoit un moyenne particulièrement basse. Mais tout de même, lorsqu'une même copie (de maths, niveau lycée) peut se voir évaluée par un 5 ou un 15 avec ou sans barème imposé, on peut s'interroger sur la pertinence, voire l'aspect nuisible de la note ! De la même façon, entre deux établissements, l'échelle de notation est très différente, car les enseignants s'adaptent à leur public. 
Ce que m'écrit dans ce passage ce parent m'intéresse à plusieurs titres :

- nous sommes pétris par la note. Elle est un résumé que nous croyons fidèle et efficace, mais qui est juste rapide et dénué de précision. Faire changer ces représentations-là est difficile. C'est pour cela qu'il faut communiquer. Comme l'a dit Einstein, "Il est plus facile de briser un atome qu'un préjugé".

- le bac demeure une référence à laquelle les parents se réfèrent dès les petites classes. Pour la valeur que ce bac possède aujourd'hui, je doute de la pertinence de cette référence. Le bac a du sens lorsqu'on le rate, car cela témoigne d'un niveau scolaire faible (mais on peut aussi vivre bien sa vie sans le bac...). J'ai vu des élèves obtenir un bac avec mention et ne rien en faire dans l'enseignement supérieur, échouer dans différentes filières successives, car ils n'avaient pas les compétences méthodologiques, l'autonomie ou la motivation nécessaire. J'ai aussi vu des élèves avoir le bac de justesse et se révéler scolairement par la suite, jusqu'à être brillants. D'ailleurs, Einstein a raté son bac une première fois avant de l'obtenir (oui, c'est mon quart d'heure Einstein). Pour avoir le bac, il faut un niveau, certes, mais aussi avoir se conformer aux attentes. Une nouvelle fois, l'école formate. Elle devrait développer, permettre, embellir.


Le bac, constitué d'épreuves uniques et ponctuelles, est donc surtout un verrou : pour pouvoir continuer dans l'enseignement supérieur, il est nécessaire. Mais est-ce une bonne chose ? Ne faudrait-il pas s'interroger sur son existence même : sans l'obligation du bac pour continuer ses études, peut-être laisserait-on à certains jeunes la possibilité de réussir professionnellement plus simplement, plus rapidement ?
On pourrait envisager de conserver un examen de fin de collège et de fin de lycée, mais sans que cela constitue un blocage pour la suite : une évaluation par compétences, qui permette de faire un point dur les acquis.

- J'ai expliqué à l'oral et à l'écrit ce que signifie "en cours d'acquisition", mais cet enfant n'a pas su, pas pu ou pas voulu le transmettre. Cela dit, le parent qui m'écrit ne se l'est pas approprié et je dois réfléchir à quelle en est la raison. 

- Pour quelqu'un qui ne voit pas son enfant au quotidien ou pour un parent dont l'enfant ne montre pas les documents relatifs à sa progression, mon système pose problème : les notes sont accessibles sur pronote, et c'est bien pratique. Mais mes compétences, si l'enfant ne présente pas à ses parents le document joint à sa copie et sa feuille de perso, c'est vrai qu'il n'y a pas moyen de savoir où il en est. C'est là que le logiciel Sacoche, dont mon chef m'a équipée juste avant les vacances, va sans doute être très utile : tout sera accessible en ligne. Je bosse là-dessus dès que j'ai digéré après les agapes de la fin de l'année. Ou entre deux agapes, plutôt.

Vous recherchez l'autonomie de l'élève, sa prise d'initiative. Moi aussi je trouve que ces 2 aspects sont nécessaires pour la vie professionnelle, mais il faut aussi aux élèves un appui parental. L'acquisition de ses 2 aspects ne se fait pas seul, l'apprentissage doit se faire non seulement avec son professeur mais aussi avec les parents.  

Alors là, je n'aurais pas dit mieux.


dimanche 21 décembre 2014

Ca r'change !

Ca y est, j'ai trouvé mon nouveau fond. Ne craignez rien, j'arrête de changer toutes les deux minutes.

Pour son premier anniversaire, mon blog avait bien mérité un petit ravalement de façade... Alors j'avais opté dans un premier temps pour de jolis galets qui évoquaient le titre, Pierre Carrée, et aussi ma Dieppe natale et le confort molletonné de sa plage.

Et puis, pour notre premier weekend de vacances, nous sommes aujourd'hui allés visiter le Musée National de l'Education, rue Eau de Robec. Monsieur Tremel, chargé de conservation et de recherche du MNE, nous a TRES gentiment menés dans les salles en nous expliquant tout un tas de choses (j'y reviens demain dans un article en ébauche). C'était vraiment très chouette et nous sommes sortis ravis de cette visite de plus de deux heures en tout.

Lors de la visite, nous avons pu admirer de nombreux travaux anciens d'élèves, dont quelques-uns pas jeunes-jeunes : le fond que j'ai retenu est l'un d'entre eux. C'est un extrait de cahier d'arithmétique de 1830, d'un monsieur Bonhoure.

Allez au Musée National de L'Education. Il vaut vraiment le détour et ce doit être très sympa d'y aller avec des enfants. La prochaine fois, ce sera notre cas. Les nôtres ou ceux de nos classes.

Guillaume et Célestin, mêmes combats

Guillaume Caron propose sur son nouveau blog un article sur son interprétation du travail libre de Freinet. Son article est clair, concret, et retranscrit bien le vécu de la classe. Il met en ligne des travaux d'élèves qui montrent la nature de leurs productions.
Je pratique le même exercice de façon presque identique, et dans son post, tout est dit et bien dit.


Morceaux choisis, mais il faut aller lire l'intégralité et regarder le travail des gamins :

Il s’agit de partir de l’expression des élèves pour faire des mathématiques. Chaque élève a une feuille blanche face à lui avec pour seule consigne d’écrire ou de créer quelque chose de mathématique.

Les élèves créent, écrivent, tracent… en partant de leurs envies mais aussi de leurs représentations mathématiques. Au bout de 10 minutes, ils peuvent commencer à venir me montrer leur “création”. Je leur demande dans un premier temps de m’expliquer ce qu’ils ont fait. Cette phase est déjà très riche puisqu’elle demande un travail de verbalisation pas toujours simple. A ce moment précis, il s’agit pour moi de proposer une question à l’élève. Si possible un “défi” ou un questionnement qui demande de la recherche à partir de sa création. L’élève peut alors reprendre son travail sur des bases de recherche et de réflexion. L’élève peut alors revenir vers moi lorsqu’il aboutit, qu’il est bloqué, qu’il s’interroge… A la fin du travail, chacun remet au propre son travail.

Ces travaux ne constituent pas un mode de fonctionnement permanent. Trois ou quatre recherches de ce type dans l’année me suffisent largement. Elles permettent un suivi des élèves au plus près à partir de leurs représentations. Ils s’aperçoivent vite que tous ont une “culture mathématique” même s’ils se considèrent comme “pas bon en maths”. Il s’agit alors de LEUR recherche, de LEUR travail. La qualité de soin qu’ils fournissent sur ces travaux est particulièrement frappante et démontre une sorte “d’attachement” à ce qu’ils viennent de faire. Au delà de ça, ils construisent LEURS mathématiques en CHERCHANT. Si mon questionnement les oriente, il ne s’agit pas pour moi de donner des savoirs descendants à ce moment là. Des élèves en grande difficulté s’investissent pleinement dans ces travaux et finissent par faire de la recherche maths… qu’ils font moins facilement avec un énoncé “classique”.

samedi 20 décembre 2014

Pythagore dans ta télé

Voilà Pythagore en personnage de série télévisée ! Atlantis est une série télévisée britannique, inspirée par la mythologie grecque, et date de 2013.
Jason, le personnage principal, est un jeune océanographe à la recherche de son père qui a disparu lors d’une mission dans les mers. Il s’embarque à bord d’un sous-marin et se retrouve transporté dans l’Antiquité. Il se lie d’amitié avec le mathématicien Pythagore, avec lequel il vit plusieurs aventures.

Stella la compteuse

L'émission de France Culture La Grande Table du 10 décembre 2014 recevait Stella Baruk, qui a été professeur de mathématiques et est auteur de nombreux ouvrages, et Hervé Le Tellier, écrivain mathématicien de formation, oulipien.









Dans son dernier livre, Stella Baruk dialogue avec sa petite fille, à partir de la phrase du mathématicien allemand du XIXème siècle Leopold Kronecker : « Dieu a créé les nombres entiers ; tout le reste a été créé par l’homme ». 

La première partie de l'émission porte sur ce qu'est le nombre. Stella Baruk explique que "Même quand j'ai trois pommes en face de moi, ce n'est pas le nombre 3. Le nombre de ..., ce n'est pas le nombre." Pour elle, les nombres, au sens mathématique, sont de toute façon une création de l'esprit, une "idéalité". Elle revient sur la façon de compter en français, avec onze, douze, etc., qui sont opaques jusqu'au seize. A dix-sept, tout s'arrange, mais la construction du nombre serait entravée par les mots en maths en français. Elle explique comment elle aborde ces difficultés avec les enfants, et finit par appeler le zéro "le chiffre du silence". C'est joli, comme expression.
Hervé Le Tellier commente le livre de Stella Baruk, dans la deuxième partie de l'émission. Elle y aborde en fait plusieurs des grands problèmes classiques des mathématiques, accessibles à des élèves de collège. Ca n'est pas bien révolutionnaire, mais pour des curieux qui ignorent ces problèmes, le livre doit être intéressant.

L'émission est coupée par un intermède musical des plus curieux : la chanson mathématiques, de Mustang. Elle est très très bizarre, cette chanson. Elle dit, par exemple, 

Ici rien n’est triste
Harmonie et musique
Ici Dieu existe
Mathématiques

Moui moui moui. En plus, à écouter, c'est encore plus bizarre. Le chanteur est très... zen.

vendredi 19 décembre 2014

Des histoires de thermomètres

Dans Libé, plusieurs articles viennent de paraître concernant les notes à l'école, avec un pour ou contre : " Entretiens avec le sociologue Pierre Merle et l’enseignant Jean-Paul Brighelli sur la réforme de l’évaluation des élèves. "

Commençons par Pierre Merle, sociologue (je lui ai consacré un article ici il y a peu, aussi sur les notes) :

A mon avis, il n’y a que des inconvénients (à noter). D’abord, elles dépendent beaucoup du correcteur (...). Ensuite, il existe des biais sociaux de notation : le professeur est inconsciemment influencé par le statut de l’élève - fille ou garçon, redoublant, enfant de milieux populaires ou de parents cadres. Enfin, la note crée une hiérarchie entre les bons et les faibles. (...)
J’ajouterai que la note n’a jamais encouragé à bien travailler. Un bon élève travaille souvent pour avoir de bonnes notes, et ne s’intéresse pas toujours aux remarques des professeurs sur sa copie.

C'est vrai. Pourtant, la partie formative, c'est l'appréciation. C'est là que les conseils sont donnés, qu'il y a matière à réfléchir, à nuancer la note justement.

On pourrait, comme en Finlande, réduire le nombre de notes. Les Finlandais ne vont pas en dessous d’un 4 sur 10 pour désigner l’échec. 

Là, je m'arrête, car je ne suis pas d'accord. Remplacer 0 par 4 ne va pas tromper longtemps les élèves ni leurs parents. Cela me parait tout à fait langue de bois, mais la signification est tout aussi violente.

Notre échelle de notes est absurde. Trop d’élèves sont en dessous de la moyenne. Et elle rend le professeur schizophrène : en cours, il prépare ses élèves, il est comme un entraîneur ; puis, le jour du contrôle, il glisse parfois des chausse-trappes et devient alors un sélectionneur.

Ce n'est pas l'échelle de notes qui est absurde en elle-même, mais la façon dont on attribue telle ou telle note. Par exemple, beaucoup d'enseignants ne mettent jamais 20/20 sous prétexte que le travail de l'élève n'est pas "parfait". Or 20/20, cela signifie juste qu'à ce moment précis, l'élève a acquis les notions et les compétences mises en jeu dans l'évaluation, ni plus, ni moins.
La note telle qu'elle est utilisée par les enseignants et vécue par les élèves est un vestige d'une autre époque : elle ne correspond pas au système de développement de compétences de plus en plus utilisé en classe pour faire progresser chacun selon ses possibilités du moment.
Passer à des évaluations par compétences implique tout un travail pour l'enseignant, notamment la nécessité de repenser le contenu de ses cours. Ensuite, le système est certes désastreux pour les élèves qui sortent sans diplôme, mais pour les vainqueurs de la compétition scolaire, ce n’est pas un problème. C’est pour cela que ceux qui ont la parole publique le défendent.
Ben oui. Les ex bons élèves, ou les parents de bons élèves actuels préfèrent les notes, puisqu'ils sont valorisés ainsi, meilleurs que "les autres". On entend aussi beaucoup dire qu'il faut garder les notes car certains élèves n'aiment pas leur abandon et ne vont pas s'y retrouver. Sauf qu'en observant les miens, d'élèves, il me semble évident que beaucoup plus d'élèves s'épanouissent ( et travaillent !) sans la note. Ceux-là, ce n'est pas parce qu'ils ne disaient rien avant qu'ils aimaient ce système. Aucun système, de toute façon, n'a jamais contenté tout le monde.

La question n'est pas de savoir qui aime et qui n'aime pas, ni même dans quelles proportions. La question est de savoir quel système profite à davantage d'élèves, quel système prépare les jeunes à devenir des adultes accomplis et autonomes.



Continuons avec Jean-Paul Brighelli, professeur de lettres modernes :

Officiellement, 10% des élèves à l’entrée en 6e ne savent ni lire ni écrire. Officieusement, selon les établissements, cela peut monter à 40%. Avec de tels taux, ils ne peuvent pas avoir de bonnes notes. 

Certes. Quelles sont ces stats officieuses, j'aimerais le savoir. Mais je suis d'accord, la maîtrise de la lecture et de l'écriture sont des prérequis indispensables pour construire son savoir. 
Toutefois ne pas noter, ce n'est pas éviter de mettre de mauvaises notes. Ce serait simplement lâche, ça. Ne pas noter, c'est évaluer différemment, plus précisément, pour mettre en valeur les acquis et pouvoir remédier aux difficultés.

Supprimer les notes, c’est supprimer le thermomètre pour qu’on ne sache pas qu’on a la fièvre.

Quand un élève n'a pas acquis une compétence, note ou pas, il est au courant, puisque le professeur le lui signifie. C'est juste passer du thermomètre au mercure au thermomètre électronique, de lâcher la note pour l'évaluation par compétences. Et puis bon, ne pas réussir à l'école n'est pas une maladie. C'est un handicap pour l'avenir, heureusement pas rédhibitoire, mais très embêtant, à divers égards.

C’est aussi repousser le problème jusqu’au moment où il ne sera plus soluble: l’examen final. Personne ne parle de supprimer les notes au bac.

En effet. On parle juste de supprimer le bac. Ce n'est pas fait, loin s'en faut, et ça risque de mettre le feu, mais on en parle quand même.

Rien de tel qu’une évaluation claire, franche, pour identifier les problèmes et aider à redresser la barre. Cesser de noter les élèves parce qu’ils ont des difficultés, c’est se moquer d’eux. Si on ne leur dit pas la vérité, on ne les emmène nulle part. Respecter les élèves, ce n’est pas leur éviter des microtraumatismes, mais leur dire la vérité et leur tenir la main pour les aider à passer le gué.

Heu ok, je reste calme. Est-ce à dire qu'une évaluation non notée classiquement n'est ni franche, ni claire ? Et pourquoi ???
S'il y a bien quelque chose que je ne fais pas, c'est me moquer de mes élèves. Au contraire, je les prends terriblement au sérieux. Les forts, les faibles, les moyens, les ça dépend, les en situation de handicap. Je ne me moque tellement pas d'eux que je cherche à les faire progresser, chacun. Et comme ils ne travaillent pas au même niveau, parce qu'ils ne le peuvent pas à un moment donné, je ne les évalue pas non plus avec une note universelle. Leur progression compte autant que les acquis, que leur "niveau".
Ma vérité à moi me semble plus complète : tu sais faire ça, ça et ça, mais pas ça ni ça. En quoi un 9/20 est-il plus "vrai" ? Et où sont les arguments dans ce passage de l'interview ?

Pourquoi ne pas évaluer en ayant recours à des systèmes plus nuancés ? Qui distinguent, par exemple, les différentes compétences…

Ok. Je ne comprends pas vraiment en fait, mais pourquoi pas.

On va accumuler les pastilles vertes, les pastilles rouges, se retrouver avec des copies couvertes de pastilles auxquelles on ne comprendra plus rien. Les grilles d’évaluation à multiples cases qui font perdre un temps fou ont déjà montré leur échec. On accole des microcompétences et on élude la question du savoir.

Non. Ce sont des pratiques différentes, qu'il faut s'approprier et ce n'est pas immédiat, d'accord. Mais si nous baissons les bras au premier effort, nous ne montrons pas vraiment l'exemple à nos élèves. Changer nos pratiques, nos regards, c'est une gymnastique. Pourquoi ne pas laisser ceux que cela amuse ou met en appétit essayer ? Quant à la question du savoir, je ne vois nulle part où elle est éludée, bien au contraire. La bienveillance n'a de sens qu'assortie d'une exigence assumée, d'ambition pour nos élèves.
Nos élèves sont capables de comprendre un système par compétences. Nul besoin de le résumer par une note pour qu'ils parviennent à comprendre où ils en sont.

Il faut arrêter de comparer la France avec des pays qui n’ont rien à voir avec elle. Nous n’allons pas faire comme la Finlande, petit pays à population homogène très différente de la nôtre, nous n’allons pas faire non plus comme le Sud-Est asiatique.
Aaaaah ben voilà, nous avons trouvé un terrain d'entente, cher monsieur ! Arrêtons avec les pays bénis du Nord, arrêtons de comparer ce qui n'est pas comparable. Ni avec la Suède, ni avec le Japon ou les autres. Cessons d'essayer de courir plus vite que "les autres", et essayons de courir plus vite, nous, qu'avant. Ou de courir mieux. Ou mieux et plus vite, tant qu'à faire.


Et surtout, chers médias, lâchez-nous avec cette question de la note ou pas de note, qui phagocyte tous les autres débats, débats qui souvent sont plus fondamentaux. Il est plus important de se demander comment enseigner, quoi évaluer, sous quelle forme, que de savoir si cela se traduira par des points colorés, des lettres, des notes ou des bonshommes qui font la tête ou qui sourient. On peut mal enseigner avec des notes, mal enseigner sans note. On peut être un prof génial avec des notes, et aussi sans les notes.

Supprimer la note est une conséquence naturelle liée à des changements de pratiques pédagogiques qui, eux, sont nécessaires et urgents pour s'adapter à nos jeunes, à leurs besoins. Ce n'est pas un point de départ. Ni un passage obligé.

Chuuuuuut

Ecoutez... Chuuuuut... Ecoutez mieux... 

...

Non non, vous aurez beau écoutez, vous ne l'entendrez pas.

...

Vous n'entendrez que le silence du réveil qui ne sonnera pas. Quinze jours de non sonnerie.

Mathasius en capsules

Mathasius est une chaîne YouTube sur laquelle vous trouverez des capsules au niveau collège. Elles sont très bien faites, courtes et varient bien les supports et les approches.


Un exemple, puisque c'est pour bientôt en quatrième, l'introduction au thème du théorème de Pythagore :



Il y a aussi des vidéo tout à fait intrigantes... Comme celle-ci :

Tu me fais tourner la têteuuu

J'ai reçu avant-hier un mail "de" Najat Vallaud-Belkacem. Il explique que ça ne va pas, dans le système éducatif français, mais que ça va aller mieux, parce que des moyens sont mis en oeuvre, à partir de tout de suite, pour pallier les insuffisances.
Il y a des signes favorables, comme Mayotte qui passe intégralement en REP+. Il y a beaucoup de déclarations d'intention, jolies, toutes simples, séduisantes évidemment.

On verra bien. J'aimerais bien en effet que l'Ecole soit plus juste et que chacun puisse y réussir. J'aimerais beaucoup que madame Vallaud-Blekacem parvienne à faire bouger le mammouth cette belle institution. Mais chaque ministre qui passe "révolutionne" toujours tout, à l'entendre. Depuis que je suis entrée dans le métier, il y en a eu 11, je crois. Ca fait beaucoup de révolutions. Normal que vous ayons la tête qui tourne.


Donner à chaque école et collège les moyens de... par EducationFrance

jeudi 18 décembre 2014

Merci !

Merci à tous les très gentils élèves qui m'ont offert des cadeaux... J'ai été bien gâtée et cela m'a fait très plaisir. Nous nous connaissons bien décidément, car ils m'ont tous offert des gourmandises... Un petit sablé maison, un chocolat mis de côté à la cantine, des loukoums, plein de chocolats et de bonbons... Alors merci aussi aux papas et aux mamans !

L'activité de Noël de ma voisine

Cette année, ce sont les troisième qui ont eu droit à une activité de Noël. En fait, il me restait une petite heure, toute seule, hors chapitre, coincée entre le brevet blanc et le départ en stage, et je cherchais quoi faire qui soit cohérent sur ce créneau. C'est madame Oursel, ma collègue de mathématiques de la salle d'à côté, qui m'a donné gentiment son activité. Elle me plaisait bien a priori, et je l'ai adoptée définitivement a posteriori.

L'activité réactive sur l'application de formules, l'utilisation de la calculatrice, les conversions d'unités, les taux et surtout les calculs de volumes. Compétence qui parait pas bien compliquée et qui bloque pas mal d'élèves.
Ici, il s'agissait de calculer le volume de contenant de rochers au chocolat, de différentes formes : une pyramide, un cône, un pavé droit. Et il fallait ensuite déterminer quel pourcentage du volume était utile, ce qui menait à calculer le volume d'un rocher, assimilé à une sphère.
Les résultats sont assez surprenants, ce qui rend l'activité encore plus intéressante. Les taux d'occupation de chaque contenant par du chocolat sont faibles, parfois très faibles. Jamais plus de 50%.

Les élèves ont vraiment été très actifs. Ils ont travaillé en groupe, et ont beaucoup discuté de la marche à suivre. Ils ne savaient pourtant pas encore qu'ils auraient droit à un de ces fameux rochers en fin de séance, et même à plusieurs pour les plus rapides. Ils ont donc cherché par curiosité, par par gourmandise. Mais je pense que si l'activité ne parlait pas de chocolats, elle aurait moins bien fonctionné. Et puis cela ressemblait bien à ce qu'on leur demande au brevet.

Dans les difficultés rencontrées, il est frappant de constater comme appliquer une formule donnée ou sue par coeur est difficile à beaucoup d'élèves. En fait, ils ne savent pas bien quel sens donner aux mots dans les formules. Par exemple, lorsque la formule dit, pour le cône :
les élèves se demandent d'abord ce qu'est la hauteur : est-ce la distance entre le sommet et le sol ou la longueur de la génératrice. La plupart penchent pour la génératrice, ce qui est bien dommage. Cela signifie tout de même qu'ils n'ont pas compris la notion de hauteur. Lorsqu'on l'étudie, en sixième puis en cinquième, dans le triangle, on essaie pourtant bien de transmettre cette idée de distance "au sol".

Ensuite, problème de taille et fréquemment rencontré chez mes élèves ce matin-là : le mot "base". Pour beaucoup, "base", ça ressemble à "base" dans
pour calculer l'aire d'un triangle. Les élèves ont donc joyeusement remplacé la "base" par le diamètre du disque de base du cône. Ils ont cherché une ligne, en fait, qui ressemble à ce qu'ils connaissent. C'était bien pratique en plus, car ils n'avaient pas à introduire le nombre pi ni à élever quoi que ce soit au carré. J'aurais pu orienter ce post sur pi, d'ailleurs, car là aussi ce fut épique. Mais la vie est faite de choix et mes articles aussi.

Là où ça me chiffonne, c'est d'abord que j'avais écrit au tableau :
Les élèves qui se sont trompé ont donc choisi la deuxième version, en interprétant le mot "base" de façon erronée. Ce faisant, ils n'ont pas cherché à faire le lien avec la formule du dessus, alors que le "=" était bien écrit.
J'ai demandé aux élèves pourquoi ils avaient choisi la deuxième formule sans se questionner sur le lien et la cohérence avec la première. Ils m'ont répondu que "la deuxième est plus simple" et des choses du style "Je pensais qu'il y avait deux méthodes, j'ai pris ma préférée" ou "Comme on peut faire de deux façons, j'ai choisi la formule que je comprends". Sauf que non, ils ne comprennent pas forcément. Et dans "application de formule", il n'y a pas marqué "Vous pouvez appliquer les yeux fermés et sans vous poser de questions". 
Pour remédier à cette difficulté, j'ai essayé de mettre en évidence le lien entre la formule de l'aire du disque et celle du volume du cône. Difficile car dès que l'on parle de cercle, de disque, de périmètre et de surface, tout se bouscule dans le désordre. 
Et ensuite, j'ai tenté une autre approche : faire comprendre qu'effectuer le calcul 
avec une longueur à la place de la hauteur donnait un résultat qui ne collait pas avec la consigne, qui était de chercher un volume. Que cela donnait une aire. "Des centimètres fois des centimètres, ça fait quoi ?" ai-je demandé guillerette. Gros blanc, moment de solitude. Un élève charitable ose un timide "Ben des centimètres-centimètres ?".
La tâche était donc d'ampleur : pas grand monde dans la classe n'avait assimilé que des centimètres fois des centimètres, ça fait des centimètres carrés. Ni le rapport avec la forme du carré. Pareil pour les cubes, forcément. 
Alors j'ai expliqué tout ça, et j'imagine que ce qui va en rester n'ira pas aussi loin que ce que j'aurais voulu. Je vais retravailler tout ceci dès la rentrée.
Mais donner du sens, c'est parfois difficile : les élèves aiment souvent les recettes et s'accommodent de ne pas comprendre. Et moi cette idée-là m'est insupportable.