Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

mercredi 2 septembre 2015

Bienvenue sur la planète sixième 3, objet très concret en 29 dimensions

Les vacances, c'est long. On a beau penser et préparer l'année qui vient, on replonge dans une vision plus ou moins abstraite des élèves. "Ils vont aimer cette activité", "Si je fais comme ça, ils vont sans doute mieux comprendre", tout ça, tout ça. On conçoit la classe comme un groupe, dont on sait qu'il sera hétérogène, mais qui, avant de le rencontrer, constitue tout de même une entité globale.

Et puis vient le jour de la rentrée. Et la première mise en activité.

Hier, l'activité de pliage du tétraèdre en classe de sixième.

Alors bon déjà, alors que quelques-uns en sont encore à se remettre péniblement de l'avalanche d'informations qu'ils ont dû ingurgiter en trois heures, d'autres me réalisent le pliage en un temps anormalement bref. Bien, je le note, classe hétérogène. Ce qui est normal, d'ailleurs.

Alors que je félicite l'un, je réponds à l'autre qui me demande ce que veut dire le mot "pli". Une autre me demande dans quel sens il faut tenir la feuille, beaucoup demande mon approbation. Un élève ne fait rien, et tient la feuille de consigne dans le sens de la largeur devant lui. Je vais le voir et il me demande :"Il faut plier la feuille de consignes ou la feuille de couleur que vous avez distribuée ?". Puis je vole débugger celui qui répète en boucle "je ne sais pas plier-je ne sais pas plier-je n'ai jamais su plier quoi que ce soit". Je termine par un passage auprès de celui qui me demande si il faut dessiner les flèches de la consigne sur la feuille.

Ensuite, pour occuper ceux qui ont fini, je demande à la cantonade :
"Regardez, voici ce que vous devez obtenir au final. Quelqu'un peut-il me dire comment s'appelle un tel objet ?". 
Pas mal de mains se lèvent. Personne ne répond sans être interrogé... Effet rentrée ou promesse ? A voir. J'interroge un enfant, pensant obtenir "triangle" ou "pyramide". Hé bien non :
"C'est un tétraèdre, madame."
Là, il m'en bouche un coin, ce petit bonhomme. Très bien, en effet.
"Qu'est-ce qu'un tétraèdre ?"

Un autre élève :
"Un solide dont les faces sont des triangles". 
Oh, je vois, il va falloir penser à nourrir efficacement plusieurs têtes déjà fort pleines. Mais je continue :
"Connaissez-vous l'étymologie du mot tétraèdre ?"
Des paires d'yeux se froncent. Normal, en général le mot étymologie picote. Mais un autre élève encore me répond, sans fanfaronner aucunement :
"Tétra est un préfixe grec qui signifie quatre, et le suffixe èdre indique que c'est un solide. Je crois que c'est aussi en grec."
Ouhlalalala, ça va différencier sévère, les louloups ! Bon, je ne me dégonfle pas :
"Mais alors, ce n'est pas une pyramide ?"
Réponses :
"Mais si, mais une pyramide particulière."
"Elle est à base triangle, alors qu'un pyramide peut être à base carrée, par exemple, comme les pyramides égyptiennes."
Certes. Très bien. Je songe à ceux qui savent moins de choses, aux rêveurs et aux lents penseurs. Je réattaque sur mon objectif initial :
"Souvent on me dit que cet objet est un triangle. Que répondre à cela ?"
Une jeune fille me répond :
"Un triangle est en deux dimensions, alors qu'un tétraèdre est en trois dimensions. Les faces sont des triangles, mais le solide est un tétraèdre".
Je poursuis :
"Pouvez-vous me citer un objet mathématique en deux dimensions ?"
Des tas de bras, forêt de mains qui gigotent :
" Un triangle"
"Un rectangle"
"Ce qui a une surface... Mais plate, pas ronde ou quoi"
OK.
"Et en une dimension ?"
"Une ligne"
"Un segment"
"Une droite"
"Une demi-droite, aussi"
Je note, je note. Nous discutons, nous précisons.
"Et un point alors ?"
Ah, un silence de réflexion. Puis mon connaisseur du tétraèdre se lance, l'air sérieux à l'extrême :
"Un point, c'est délicat... Je dirais qu'il n'a pas de dimension. Mais je ne suis pas sûr."
Un autre complète :
"Moi je me suis toujours posé la question : un point, ça existe, ou c'est un concept ?"


Il me faudra être très vigilante, dans cette classe. Si on vole déjà à cette altitude le jour de la prérentrée, il y en a (le gang du tétraèdre) qui risquent de s'ennuyer, et d'autres (n'y voyez aucun mépris ni aucune condescendance, il n'y en a pas) qui vont avoir besoin de davantage de temps.

Ce qui est certain, c'est que je ne vais pas m'ennuyer. Et que j'ai bien de la chance d'enseigner là.

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