Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

vendredi 10 juin 2016

Après André, Lucien.

Comme Najat Vallaud-Belkacem a relancé le débat sur l'éducation (au  sens enseignement) sans école, ou dans une école hors contrat, tout le monde y va de son article. Aujourd'hui, c'est celui du site du Parisien qui a retenu mon attention.

Dans cet article, on fait la connaissance de Lucien, 17 ans, qui est sorti du système classique au milieu  de la classe CE1. Son professeur, c'est sa maman, ancienne directrice d'école qui a aussi écrit l'ouvrage « Instruire en famille ». Elle explique : « Lucien, pourtant très curieux, n'avait plus envie d'apprendre. Alors je l'ai retiré pour faire autrement ».
L'idée pour Lucien, c'est d'apprendre dans des lieux de culture («au palais de la Découverte, au théâtre, au Salon des jeux mathématiques, dans les romans, devant un planisphère ou un jeu d'échecs»), «au fil de la vie», sans stress et avec le moins de contraintes possibles. Lucien doit tout de même «bachoter» lorsqu'il s'agit de passer des examens. L'article dit qu'il va devoir «rattraper» les programmes de maths et de physique pour le bac.

La maman de Lucien se réjouit, dans la suite de l'article, de ne plus être contrôlée par l'inspection d'académie (Lucien ayant dépassé 16 ans, la scolarisation n'est plus obligatoire et le contrôle en question non plus). Elle regrette : « L'idée, c'est d'enlever la liberté pédagogique aux familles qui sont pourtant de véritables laboratoires de recherche en la matière. On veut leur soumettre les programmes de l'école alors que ceux-ci ne conviennent pas à leurs enfants et c'est pour ça qu'ils n'y vont plus ! ».

Plusieurs choses me frappent et une me choque.
Ce qui me frappe, c'est cette promotion de l'école hors de l'école. Que veut-on nous prouver ? Que l'école ne sert à rien ? Qu'on n'y apprend rien ? On n'y apprend sans doute pas assez, sans doute pas seulement les choses essentielles pour la vie ensuite. Mais à la maison non plus. d'autres problèmes se posent, évidents, de socialisation, d'adaptation à la tâche demandée, à une norme. Il me semble que l'école peut apprendre tout cela, sans pour autant formater, sans brimer les personnalités. C'est important, pour la vie adulte, de savoir donner ce qu'on attend de nous, professionnellement, sans mal le vivre. Il est rare d'avoir un emploi sans contraintes et sans hiérarchie. Tout dépend alors de la façon dont on les interprète et de la façon dont on les vit.
On m'opposera que pour Lucien, comme sans doute pour d'autres, tout va bien. On va me montrer des exemples de jeunes qui sont insérés dans la société comme d'autres jeunes scolarisés, qui ont les mêmes diplômes. Je sais qu'ils existent, mais des cas particuliers ne font pas un cas général.

Bientôt, on va nous dire que l'école fait régresser. Stop ! Arrêtons de généraliser dans tous les sens. C'est encore une mode, une pensée en solde. Tout cela est bien plus complexe, bien plus profond, et bien plus intéressant. Les sciences de l'éducation, les recherches en pédagogie, en didactique, montrent bien toute la richesse de leurs champs de recherche, et que rien n'est simple. Quant à l'idée que c'est la faute des contenus des programmes si certains jeunes sont en difficulté, c'est possible, mais alors cela doit représenter une infime partie de ceux qui, malheureusement, décrochent. Dans l'immense majorité des cas c'est le rapport à la performance qui est néfaste pour l'individu, et/ou le rapport aux autres. Charge à l'école d'y travailler, ce qui est en bonne voie ces dernières années.

Enfin, je suis choquée que la maman de Lucien s'offusque du contrôle effectué. Il s'agit aussi de protéger les enfants. Si n'importe qui peut déscolariser un enfant sans contrôle, tout est permis et on verra des enfants ne recevoir aucune éducation, dans aucun domaine. Ce n'est pas le cas de Lucien, mais pour d'autres il s'agirait ni plus ni moins de maltraitance. Recevoir un enseignement est un droit et il est normal que l'état s'en assure, à condition de la faire dans le respect des personnes. Quand mon inspecteur vient m'observer, quand mon chef d'établissement me demande un rapport d'activité pour une de mes missions, il ne se passe rien d'anormal. Contrôle ne signifie pas agression, et en fait la maman de Lucien réagit tout à fait en harmonie avec ce qu'elle rejette pour son enfant.

Que la décision de cette maman ait été la meilleure pour Lucien, c'est possible, et je n'en doute pas. Ce n'est pas mon objet. Ce qui m'agace, c'est la prise en charge médiatique de ces derniers temps et l'idée que chacun peut faire absolument ce qu'il veut dans tous les domaines. D'ailleurs c'est faux : la maman de Lucien a pu, en toute légalité, ne pas le scolariser au-dehors.

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