Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

dimanche 13 septembre 2015

Déformation professionnelle à la boulangerie

A la boulangerie, mardi.
Un enfant, de treize ans environ, entre. Il ne dit pas bonjour. Il regarde le bocal de sucettes tache-langue, et je sens sa perplexité. Il s'approche vers la sortie, et hurle (littéralement ; j'en ai encore la tympan qui tremble) :  "Oahoooh, enc#&%@ !!! Tu la veux de quelle couleur, ta sucette, tu m'as pas dit ??? "


Son camarade, dehors, trop absorbé par l'examen attentif d'un vélo garé là, n'entend rien. Contrairement à nous, dans la boulangerie, qui avons très très bien entendu. Je vois le gamin reprendre son souffle, sans doute pour poser de nouveau sa question à son acolyte. Alors je bondis : "Non non non, mais enfin, tu réfléchis, là ? Tu nous hurles dans les oreilles et en plus tu cries un super gros mot ! Si tu veux lui poser une question, tu sors et tu lui parles. Et après tu reviens. Et sans insultes."
"Non mais c'est mon copain, c'est pour rigoler !"
"Je sais, c'est ton copain et il ne va pas mal le prendre. Mais si je faisais comme toi pour poser une question à quelqu'un qui m'accompagne, tu te dirais quoi ? Tu trouverais ça normal ? Et tu n'aurais pas mal aux oreilles, toi ?"
"..."
Il sort, penaud, va demander (tout bas :-) ) et revient. Il évitera mon regard jusqu'à ce que je sorte, même quand je le saluerai individuellement. Les autres clients me manifestent leur approbation silencieuse, par des regards appuyés et des hochements de tête graves et consternés.

Encore à la boulangerie, le mercredi.
Un garçon à peu près du même âge que le précédent attend devant moi. A son tour, la boulangère lui demande ce qu'il souhaite. Le jeune homme réclame, d'un ton autoritaire : "Un pain au chocolat."
Allez, hop, je suis repartie sans avoir le temps de réfléchir, et j'ai gentiment complété : "s'il vous plaît, madame."
Le gamin se retourne, me regarde, interdit. Et il attend son pain au chocolat. Mais la boulangère le garde en otage... Je lui dis : "Je n'ai pas entendu..." Alors il comprend et ajoute "s'il vous plaît madame." "Tu vois, lui dis-je, ça ne fait pas mal d'être poli, et c'est plus agréable pour tout le monde."
Il grommelle vaguement et s'en va. Derrière moi, rebelotte : les clients se plaignent : "les jeunes ne sont pas polis", "il n'y a plus d'éducation", "vous avez bien fait !".

D'accord, mais ce serait plus efficace si nous faisions tous la même chose. Je n'ai été ni agressive ni injuste avec ces enfants. J'ai essayé de leur transmettre un élément d'éducation, à chacun. Si personne ne leur dit jamais ce qui "se fait" et ce qui "ne se fait pas" en situation, c'est plus difficile à apprendre. Si nous voulons une autre société, ne pouvons-nous pas tous contribuer ?

On en revient à un problème d'actualité : la boulangère a dit aux autres clients "elle est enseignante, la dame". Et tout le monde de réagir dans le style "ah d'accord, c'est normal alors, c'est son métier". Mais non : je suis enseignante, certes. J'éduque aussi, ok. Mais éduquer, c'est la tâche de tous. Pas seulement de l'école. Arrêtons de tout demander à l'école. Elle ne peut pas et ne doit pas tout faire.

Depuis, j'ai croisé le deuxième enfant, dans mon quartier. Je ne l'avais pas reconnu de prime abord. Je l'ai reconnu lorsqu'il m'a dit "Bonjour madame."

1 commentaire:

  1. J'ai aussi 2 anecdotes qui auraient pu me valoir de gros problèmes :a

    Thomas ....
    Un jour, je sort de mon lycée et je voie un adolescent que je ne connaissais pas visiblement très mécontent. Il donnait des coups de pied dans les barrières protégeant les plantations qui agrémentent la rue. Je passe devant lui... puis, tout de même très chagrinée de le voir détruire de la sorte le mobilier urbain je fais demi-tour et lui dis : "dis donc toi, arrête ça immédiatement".
    Et là ... il me répond : "je fais ce que je veux, je paye des impôts !"
    Sa réaction a fait grimper mon énervement de quelques degrés. Je lui a répondu "moi aussi j'en paye et c'est pour ça que je te demande d'arrêter. De plus, je suppose que tes parents seront très intéressés de savoir ce que tu fais avec LEURS impôts!".
    Il a cessé et est parti en bougonnant.
    Cet incident a eu lieu au juin.
    En Septembre suivant, je retrouve le jeune Thomas dans une de mes classes. Il redoublait sa 2nde. Je suppose que c'était l'annonce de son redoublement qui l'avait mis dans cet état !!
    J'ai passé une très bonne année avec Thomas qui est en fait un garçon très attachant.

    Mehdi
    Je prenais le bus avec ma fille qui devait avoir 6-7 ans à l'époque. Il y avait peu de monde 4-5 passagers à l'avant avec nous et personne à l'arrière après la partie articulée. Nous arrivons à la gare et là, montent un groupe de jeunes fort bruyants.
    Tellement bruyants que les autres passagers se regardaient l'air gênés... qui oserai intervenir ? Quelques coups d’œil au chauffeur qui visiblement faisait tout pour nous faire croire que tout allait bien. Et au fond du bus le ton montait : insultes, cris...
    Alors, sans réfléchir, je me lève et je me dirige vers ce groupe. Là, la scène aurait pu me stopper mais je n'ai pas vraiment réfléchi : un jeune était grimpé sur un autre, le maintenant coincé au sol entre deux fauteuils et le bourrant de coups de poings.
    Pas de chance pour lui, c'était un élève que j'avais en classe et dont j'étais prof principale...
    "Mehdi arrête ça tout de suite !" Je croie que j'ai un peu crié à ce moment là !
    Il se fige sur place en me reconnaissant et me répond "c'est rien madame, c'est mon ami, on s'amuse"
    "C'est pas une façon de se comporter avec ses amis. Arrête ça immédiatement".
    Je suis retournée m'assoir auprès de ma fille. Je tremblais comme une feuille.
    Les autres passagers m'ont regardé avec un air reconnaissant... et même le chauffeur dans son rétroviseur semblait soulagé de mon intervention.
    Avec du recule, je me suis dit que j'avais eu de la chance que ce soit Mehdi ...

    Laurence

    RépondreSupprimer