Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

samedi 9 avril 2016

Sarko, lui, il n'innove pas du tout.

Nicolas Sarkozy a publié une tribune intitulée "L'école de la République et rien d'autre", le 6 avril dernier. Vous pouvez en lire l'intégralité ici.

Quelques extraits :

"La réussite de notre République, c'est d'avoir fait de l'école un lieu, neutre et sûr, où se transmet le savoir, où l'on intériorise la règle sociale et où chacun apprend à devenir un citoyen. "
L'école n'est ni un lieu neutre, ni un lieu sûr. Des individus y évoluent, communiquent, interagissent, et tout établissement scolaire est une cocotte minute potentielle. Tous les adultes, et la plupart des jeunes qui en font partie oeuvrent pour que cela se passe bien. Mais que monsieur Sarkozy aille expliquer aux enfants qui sont harcelés, aux absentéistes, aux enfants qui ne rentrent pas dans le joli moule dont il rêve que l'école est un lieu neutre et sûr. Même des enfants en "réussite scolaire" en auront, des choses à dire ! La discussion sera sans aucun doute plus enrichissante qu'en se limitant à rêver les choses et à écouter des conseillers qui n'ont aucune idée de ce que vit un élève "moyen" (hou, c'est pas beau ça comme expression). En tout cas, innover c'est aussi ça : essayer d'adapter le système scolaire de sorte qu'il soit le plus sûr possible pour tous et pour chacun.

"La force de l'école de la République, c'est de perpétuer la France en assurant la transmission de l'héritage historique, littéraire et artistique de notre pays."
Bon par contre, les sciences, ça ne sert à rien.

"L'école que chacun rêve de voir sanctuarisée a été transformée imperceptiblement en un lieu d'expérimentation sociale dont les parents et les enfants sont en réalité les cobayes."
Ou alors, l'école que chacun rêve de voir efficace tente par-ci, par-là de trouver des solutions pour faire réussir chacun, en s'adaptant à l'évolution de la société. C'est selon.

"Désormais, l'école n'est plus chargée de transmettre des savoirs et de former des esprits - nos pédagogues ont décidé que l'élève devait construire lui-même son savoir - mais de promouvoir des «activités ludiques et citoyennes»! "
Notez ici la tournure "nos pédagogues ont décidé que"... Petit rappel sémantique (j'ai pris les définitions du Larousse, car monsieur Sarkozy aime les institutions historiques) :



Voilà. Nous sommes donc, je pense d'accord : les mots pédagogue et pédagogie ne recèlent aucune connotation négative. Il s'agit là d'un ensemble de compétences, d'aptitudes, dans une visée humaniste et de progrès, de générosité et d'échange, résolument tourné vers l'avenir.
Pourquoi donc cette ironie, ce sarcasme grossier ? "Nos pédagogues" ne décident rien seuls, de plus. Ils s'appuient sur des apports scientifiques (ah c'est vrai, la science ne fait pas partie de la culture, pardon) de sociologie, de psychologie, de neurologie, etc.
Ensuite, "construire ses savoirs lui-même" ne signifie absolument pas "laisser en autonomie pour faire joujou avec des supports vaguement estampillés disciplinairement". C'est vraiment de la mauvaise foi caractérisée, du niveau zéro. "Construire ses savoirs", cher monsieur Sarkozy, c'est comprendre pourquoi on a besoin de ce savoir, lui donner une existence mentale, le comprendre dans sa structure pour se l'approprier définitivement et de façon autonome. L'enseignant est là pour permettre ce cheminement, grâce à des activités réfléchies, conçues en fonction du public ciblé, et si possible en effet pas hyper rébarbatives. Ce qui ne signifie pas juste ludique ou amusantes.

"Les Républicains, eux, considèrent qu'il n'appartient pas à l'école de se substituer aux familles mais d'enseigner des disciplines et de former au raisonnement et que les enseignants du second degré ne sont pas des «éducateurs» mais des professeurs et des maîtres."
Aaaaah, voilà un discours qui va plaire à tous ceux qui revendiquent le "Je suis prof, moi, pas éducateur ou assistante sociale !". Et alors on fait quoi pour les enfants qui sont issues de familles en difficultés, qui ne parlent pas ou ne lisent la couramment le français, qui ne peuvent pas expliquer l'énoncé de cet exercice sur la trigonométrie ou de reformuler ce qu'est un oxymore ? On fait quoi pour les enfants dont le ou les parents ne s'occupent pas ou peu ? On fait quoi pour tous ces enfants qui ne sont pas censés avoir de problèmes, mais qui en ont quand même, et qu'on peut déceler à l'école ? Et pour tous les autres, on se limite à transmettre le théorème de Thalès et la grandeur de la France ? Ou bien en plus d'enseigner, on participe à l'éducation. Participer, monsieur Sarkozy, mais pas se substituer. Un enseignant enseigne, certes. Mais il continue aussi à l'éducation, c'est une évidence. Nous faisons partie de l'Education nationale, d'ailleurs, pas de l'Enseignement national. 
D'ailleurs, mon ami dico est d'accord avec moi :


J'enseigne, donc j'explique, je fais apprendre, je montre. En même temps, je développe chez mes élèves des aptitudes... Donc j'éduque. Et comme je suis comme monsieur Sarkozy (si, si), je veux que l'école permettre aux enfants de devenir des citoyens éclairés, je contribue à développer et épanouir les personnalités (en tout cas, j'essaie !) et je transmets aussi certains usages de la société.

"Aujourd'hui, la présence des enseignants dans les établissements ne peut plus se limiter aux seules heures de cours. C'est à eux et non à des «animateurs» sans formation ni légitimité qu'il revient d'organiser le temps scolaire et ce rôle doit avoir une véritable contrepartie salariale, car ils méritent notre considération et notre respect pour leur engagement quotidien."
Deuxième partie du "Mais oui, vous, enseignants, êtes investis d'une mission qui mérite de ne pas dire seulement de vous que vous êtes des glandus tout le temps en vacances, ou en tout cas de ne pas le dire en public".  Oh, la belle "contrepartie salariale" alléchante ! Et pendant qu'on y est, pan dans la tête des assistants d'éducation et des assistants pédagogiques, avec lesquels j'animais une formation la semaine passée, et qui aident les élèves, au quotidien. De quoi pâtissent-ils le plus ? Du manque de considération de l'institution, des enseignants eux-mêmes, de ne pas être intégrés de façon constructive et active au système éducatif. Eux aussi sont "engagés au quotidien", mais sans être reconnus de façon suffisante par l'Etat.

"Au primaire, les enfants devront quitter l'école en ayant fait leurs devoirs. L'égalité républicaine est une farce si certains en rentrant chez eux trouvent une famille disponible ou des répétiteurs quand d'autres n'ont que la télévision pour les aider…"
Ah tiens, nous sommes d'accord. Mais pas seulement pour ceux qui n'ont pas d'aide à la maison, et pas seulement au primaire : pour tous les enfants, une aide aux devoirs est souhaitable. Apprendre, travailler, se concentrer, ça s'apprend.

"Aucun jeune «décrocheur» ne doit rester sans activité après ses 18 ans. L'institution militaire a la capacité de resocialiser des jeunes en perte de repères."
Pardon ? La solution au décrochage, c'est l'armée ? Sérieusement ? 
Et les décrocheurs mineurs, on les envoie où ?

"Quant aux programmes (...) il ne peut pas revenir aux Assemblées de décider de ce qui doit s'enseigner dans les classes. Il convient d'en finir avec les conseils, les comités et les commissions. Les programmes doivent être élaborés par l'Inspection générale, dont c'est la mission, sous l'autorité du ministère, mais il faut peut-être en confier l'approbation finale à l'Institut de France et donc aux académies."
Heuuuuuuu ? Je suis sans doute de mauvaise foi (ça doit être contagieux), mais là je ne comprends rien. L'Inspection générale participe évidemment aux programmes, et les "conseils, comités et commissions" sont là pour réfléchir, rendre tout ça plus intelligent. D'ailleurs, je me porte volontaire pour expliquer à monsieur Sarkozy pourquoi les nouveaux programmes de mathématiques me plaisent, et pourquoi je les trouve mieux que les anciens. Cependant, c'est vrai qu'il faut aussi veiller à ne pas multiplier les regroupements qui ne servent à rien et coûtent de l'argent public. Comme par exemple la commission pour l'évaluation, qui a planché, avec des tas de gens venus d'horizons divers, qui a réfléchi de façon indépendante, en profondeur, et qui a fourni des conclusions claires, pertinentes, étayées, dont la ministre n'a tenu aucun compte. Si on réunit des experts juste pour qu'ils disent ce qu'on a envie d'entendre mais que dans le cas contraire on jette leur travail, c'est du gaspillage.


"L'école de la République n'appartient ni aux pédagogues, ni aux sociologues, ni aux idéologues dont la réforme du collège marque l'aberrant triomphe, elle est un bien commun qu'il convient de rendre, au plus vite, à la nation."
Alors pour le triomphe, on va attendre un peu : nous n'en sommes pas là. Le reste, c'est du blabla.

L'Ecole, c'est compliqué. En parler demande des savoirs, des compétences, de l'ouverture d'esprit, de la tolérance. Tout le monde en parle, sans doute sous prétexte d'avoir eu une expérience scolaire. Ce qui est vrai, c'est que l'Ecole nous concerne tous. Mais elle mérite mieux que des discours électoraux. Elle mérite de la réflexion.

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