Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

samedi 5 mars 2016

Flaubert, maths et Robec

En me promenant à Rouen, rue Eau de Robec, je suis tombée sur une citation sur le fronton d'une boutique :


C'est l'oeuvre de Gaspard Lieb, un artiste qui propose des rencontres urbaines éphémères, créant des rencontres poétiques au détour des rues. Il a dispersé dans la ville des traces de littérature sur les murs, comme celle-ci.

Il est écrit : "L'art dramatique est une géométrie qui se parle en musique. Le sublime dans Corneille et dans Shakespeare me fait l'effet d'un rectangle. La pensée se termine en angle droit".

J'ai beaucoup aimé cette rencontre surprenante. Mais la citation me laisse perplexe. Très très perplexe. Ca ressemble à une vanne, je trouve, mais je suppose que ce n'en est pas une, puisque Flaubert parle de "sublime". Je ne comprends pas la première partie, parce que je ne trouve pas du tout mon ressenti du théâtre dedans. Mais la suite m'interroge franchement : une pensée en angle droit, un littérature-rectangle, je trouve ça triste et convenu. il n'y a aucune liberté dans cette figure, avec ses régularités, ses angles égaux, pointus et répétitifs. Même ses diagonales sont de même longueur. Elle n'a ni la beauté mystérieuse du cercle, lié à π (un coca ?), ni son efficacité concrète (pourquoi les bulles sont-elles sphériques, le savez-vous ?). Elle n'a pas la liberté d'autres polygones, et seul le carré est encore plus plan-plan, mais aussi vraiment très particulier.

Une pensée en angle droit, ça fait un bruit de pas réguliers de bottes bien cirées. Encore que peut-être la morale, à la rigueur, peut se concevoir à angles droits. Mais dès qu'on la confronte au monde et aux hommes, elle va, comme toute pensée individuelle, quitter le chemin prévu et partir en boucles, en courbes et en circonvolutions. Parce que le vivant, ça ne choisit pas le plus court chemin. Ca vit, justement. Et c'est beau, ces courbes imprévisibles et personnelles, parfois incompréhensibles à l'autre.

Et le rectangle, il est tout mort, un peu.

Si quelqu'un comprend les mots de Flaubert d'une façon qui m'est étrangère ou peut proposer une interprétation, je prends.

5 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je n'ai pas de réponse évidemment.ça n'aurait pas été drôle..
    Mais l'article m'a beaucoup interrogée moi-aussi.
    Pourquoi ces deux figures géométriques pour l'art dramatique?
    Mystère..Pourtant j'ai fait des recherches..
    malgré-tout, ce qui m'a beaucoup amusée c'est que , de mon côté, je perçois les figures géométriques les plus "rigides",les plus "parfaites" comme très humaines justement..Monsieur angle-droit est un vieux monsieur qui a mal partout tant il a toute sa vie voulu tenir debout dans un semblant de perfection et il ne tardera pas à se refermer en une droite (une demi-droite? gloups!)définitive quand sonnera le clap de fin..quant à Monsieur Carré, c'est un handicapé de la perfection, trop occupé à faire grandir ses deux côtés parallèles, il en a oublié les deux autres côtés et il crève de ne pas être un carré. c'est un sinistre.
    Et finalement c'est peut-être ça..Dans le drame, c'est un défilé de personnages de haute-naissance, un peu étriqués moralement et qui espèrent toujours s'en sortir..Alors que dans la tragédie, c'est propre, net, on sait que l'on va mourir et on ne suit que la trajectoire qui y mène.La tragédie, elle, c'est un cercle..
    Pour en revenir à Flaubert, il n'a eu de cesse d'essayer de calmer son romantisme exacerbé dans le refuge de la science et de la géométrie en particulier..Pour le plaisir, la description de la casquette de Charles, un monument d'improbable dans un besoin permanent d'être contenu dans du géométrique identifiable:

    Mais, soit qu'il n'eût pas remarqué cette manœuvre ou qu'il n'eût osé s'y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis, s'alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin, venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve, la visière brillait.
    C'est flagrant aussi pour la scène de la pièce montée et des Commices agricoles..
    On retrouve la même obsession dans Bouvard et Pécuchet qui est en fait un un infernal combat entre la spirale et la pyramide...
    Merci pour ce moment de réflexion!

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  2. De rien, vraiment... Merci pour ta réponse !
    Bon, j'avoue avoir spécifiquement espéré que tu répondrais, et être ravie de la teneur de ta réponse. C'est amusant comme nous ne ressentons pas les figures planes de la même façon. En revanche, je comprends le lien pour toi tragédie-cercle.
    J'ai bien envie d'aller fouiller chez Flaubert, maintenant. Je ne l'ai pas relu depuis le lycée, et toute cette dimension m'a échappé.

    Vivement le retraite !

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  3. Vivement la retraite? on n'y croit pas un instant...
    Moi ça me donne envie de retourner vers "Euclidiennes" , les poèmes de Guillevic..Ce matin, je suis tombée sur un blog de maths (hautement improbable un dimanche matin..) Maths et tiques. J'ai bien aimé le corpus poèmes et mathématiques qu'il propose...Plus simple que ce qui est proposé dans "Les maths et la plume"...De quoi faire de beaux projets en attendant une retraite pas plus souhaitée que ça..

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  4. Maths et tiques est plein de trésors en effet. Mais j'aime bien aussi les maths et la plume, surtout le tome 2 je crois. Mes élèves arrivent à s'approprier pas mal de textes. Bientôt je vais mettre en ligne le contenu de ma bibliothèque de classe, justement. Et ainsi je gèrerai mieux les prêts, qui deviennent compliqués, grâce à une demande grandissante. Tu connais le One Zero Show, pièce de théâtre mathématique ?

    Je veux bien patienter tranquillement pour la retraite. J'attendrai l'été pour explorer les maths de Flaubert, alors.

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  5. non..je ne connaissais pas.Voilà chose faite; Drôlement bien.
    En attendant la retraite il faut promouvoir "le travailler autrement" coûte que coûte...Et il y a du boulot..
    Mais je sens un frémissement positif.Bonne semaine.

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